Perspective, scénographie et paysage
Jacques Guiaud peintre paysagiste

par Mireille Lacave-Allemand
Historienne de l’Art

  • Kaub and the castle of Gutenfels

    Kaub and the castle of Gutenfels

    Aquarelle sur papier de William Turner, 1824.
  • Vue de Saint-Goar sur le Rhin.

    Vue de Saint-Goar sur le Rhin.

    Huile sur toile attribuée à Pierre-Justin Ouvrié.
    Collection particulière.
  • La traversée du fleuve.

    La traversée du fleuve.

    Huile sur toile de Jacques Guiaud.
    H 38 x L 54 cm, signée b. dr.
    Collection particulière.
    Photo © Gestas.
  • Souvenir des bords du Rhin, entre Coblence et Mayence.

    Souvenir des bords du Rhin, entre Coblence et Mayence.

    Huile sur toile de Pierre-Justin Ouvrié, 1861.
    H 76 x L 101 cm, signée et datée b. g.
    Paris, musée du Louvre, n° inv. 20858.
    Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Tony Querrec.
  • Saint-Martin-Lantosque.

    Saint-Martin-Lantosque.

    Crayon sur papier chamois de Jacques Guiaud, 11 septembre 1859.
    H 26,9 x L 37 cm., signé et daté b. g., localisé bas dr.
    Nice, musée Masséna, n° inv. MAH-1205.
    Repr. © J.-P. Potron/Ville de Nice.
  • La chartreuse de Pesio.

    La chartreuse de Pesio.

    Technique miste, crayon et craie blanche sur papier chamois par Jacques Guiaud, 1850.
    H 14,9 x L 26,8 cm, signée et datée b. dr.
    Nice, musée Masséna, n° inv. MAH-1208-2.
    Repr. © J.-P. Potron/Ville de Nice.
  • Vue de Nice depuis les hauteurs de La Bornala.2

    Vue de Nice depuis les hauteurs de La Bornala.

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud.
    H 23,5 x L 41,1 cm.
    Nice, musée Masséna, n° inv. MAH-1207-16.
    Repr. © J.-P. Potron/Ville de Nice.
  • Nice et le monastère de Cimiez vus depuis l’abbaye de Saint-Pons.

    Nice et le monastère de Cimiez vus depuis l’abbaye de Saint-Pons.

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud.
    H 18,5 x L 40,6 cm.
    Nice, musée Masséna, n° inv. MAH-1207-11.
    Repr. © J.-P. Potron/Ville de Nice.
  • Nice depuis Carabacel.

    Nice depuis Carabacel.

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud.
    H 15,7 x L 24,2 cm.
    Nice, musée Masséna, n° inv. MAH-1207-14.
    Repr. © J.-P. Potron/Ville de Nice.
  • L’entrée du port de Nice depuis la colline du Château.

    L’entrée du port de Nice depuis la colline du Château.

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud.
    H 12,5 x L 18,5 cm.
    Nice, musée Masséna, n° inv. MAH-1172.
    Repr. © J.-P. Potron/Ville de Nice.
  • Nice, la villa Cessole à Saint-Barthélemy.

    Nice, la villa Cessole à Saint-Barthélemy.

    Crayon sur papier de Jacques Guiaud.
    H 18,2 x L 26,5 cm, signé b. dr.
    Nice, bibliothèque de Cessole,29-9.
    Repr. © J.-P. Potron/Ville de Nice.
  • Nice, le monastère de Cimiez et l’abbaye de Saint-Pons

    Nice, le monastère de Cimiez et l’abbaye de Saint-Pons

    Technique mixte, crayon et craie blanche sur papier chamois par Jacques Guiaud, 1850.
    H 15 x L 26,8 cm, signée et datée b. dr.
    Nice, musée Masséna, n° inv. MAH-1208-2.
    Repr. © J.-P. Potron/Ville de Nice.
  • Villefranche depuis le petit môle.

    Villefranche depuis le petit môle.

    Technique mixte, crayon, aquarelle et
    craie blanche par Jacques Guiaud.
    H 21 x L 38,3, localisée b. g.
    Nice, musée Masséna, n° inv. MAH-1191.
    Repr. © J.-P. Potron/Ville de Nice.

    GUIAUD « VEDUTISTE » ?

    Nous consacrons ici un bref paragraphe dédié aux paysages panoramiques, qui forment un abondant corpus chez Guaiud, mais également chez ses confrères et amis. Il faut cependant vérifier ce qui dans ces oeuvres appartient à l’art proprement dit du « védutiste », et s’entendre tout d’abord sur le sens du terme.

    L’art de la veduta est né en Italie autour du XVIIIe siècle, il s’est popularisé grâce à l’institution du Grand Tour initié par les jeunes gens de la gentry britannique, puis par l’engouement pour l’exotisme que les journaux de voyages ont engendré. Les peintres (non italiens) ont suivi ce mouvement, dans leur recherche d’idées nouvelles, lié à une recherche de nouvelle clientèle. La veduta est devenue un art du souvenir iconographique. Les vedute ont ainsi été peintes en série à Naples ou Venise ; elles sont répétitives dans leurs motifs et de facture parfois hâtive. Mais de grands peintres vénitiens ont illustré le genre avec un immense talent et un savoir-faire remarquable. Cet art, toujours apprécié au XIXe siècle, repose sur quelques critères : des vues « larges », panoramiques, des perspectives parfaites, des précisions de détail, fruits d’une observation minutieuse, et une touche anecdotique pour ajouter au pittoresque du paysage. Les dictionnaires qui tentent de définir la veduta le font le plus souvent comme « l’art de la vue, du paysage urbain ou suburbain » (Larousse). Scénographie, perspective, exactitude sont les clés des vedute comme le souligne Giuliano Brigantini dans son ouvrage Les peintres de vedute50.

    Guiaud a-t-il alors fait oeuvre de « vedutiste » ? La démarche du peintre s’apparente pour certaines oeuvres à celle des grands « védutistes » italiens, maîtres de la perspective urbaine.

    Rendre précisément le tracé des rues, l’architecture des grands édifices urbains, nous avons vu que Guiaud y excellait. Rendre vivantes et sensibles les activités de la vie quotidienne sur les places ou dans les rues, nous avons vu que Guiaud y parvenait sans difficulté, aussi bien à l’huile qu’à l’aquarelle, et ses dessins nous ont montré l’attention avec laquelle il s’astreignait à observer les différences de costumes, de comportements, d’attitudes. Nous avons vu encore qu’il s’était exercé avec succès à suggérer la transparence du ciel, à moduler les teintes, à faire vibrer la lumière.

    Il nous faut à présent saisir de quelle manière il restitue l’environnement urbain spécifique, sans utiliser de chambre noire comme le faisaient les « védutistes » vénitiens51. C’est grâce à ses connaissances de la perspective que Guiaud parvient à donner l’illusion de l’espace dans lequel il évolue, et du paysage naturel qui sert de cadre. Précision et respect des proportions, réalisme du détail, présence de l’homme, attention à l’environnement, en sont les fondements. On peut illustrer ces principes grâce aux oeuvres à notre disposition qui montrent la démarche de l’artiste, du simple croquis à la vue considérée comme finie.

    Quand Guiaud et ses compagnons de 1833-1835 jouent les touristes sur les bords du Rhin, ils rivalisent d’adresse pour croquer les sites les plus emblématiques du romantisme rhénan auquel Turner a également succombé quelques années auparavant.

    Guiaud propose une vue ou Souvenir de Bacharach, datée de 1838, accrochée cette même année aux cimaises du Salon. Son ami Justin Ouvrié peindra deux toiles des mêmes lieux à hauteur de St Goar, village en aval de Bacharach52. Ces huiles de belle facture sont des vues larges, réalistes d’une certaine manière, car la vallée et les défilés du Rhin sont fidèlement reproduits ; le paysage est vaste, il laisse entrevoir l’élargissement de la vallée en aval des défilés, avec des promontoires où sont perchés des châteaux en ruine, le tout dans un esprit très romantique, mais en même temps très fidèle à l’atmosphère des lieux. Il n’est pas sans intérêt de comparer ces tableaux avec celui de Turner intitulé Kaub et le Château de Gutenfels, daté de 1824, soit une dizaine d’années avant le voyage de Guiaud et Ouvrié sur les bords du Rhin. Nous ne pouvons cependant pas qualifier le tableau de Turner de veduta car son style plein de vapeurs, de fumée et d’imprécision topographique, ne correspond en rien à l’art d’un « védutiste ».

    C’est dans un style plus libre, que le crayon ou l’aquarelle rendent possible, que Guiaud illustre le mieux l’art du paysage à la façon d’un « védutiste ».

    De la Riviera à la Bretagne, et à l’Espagne, il promène un oeil exercé, qu’il croque librement à la pointe noire La villa de Cessole en contreplongée, la Vue de Douarnenez, qu’il peigne la Cathédrale de Palma de Majorque, ou bien encore qu’il dessine le déroulement des façades du village de Saint-Martin de Lantosque, village éperon de l’arrière pays niçois dont les balcons au sud donnent sur la vallée. Ce dernier dessin fourmille de détails : bordure des toits, balcons suspendus, contreforts soutenant une maison, escaliers de pierres branlantes, villageoises en conversation, et, en contrebas du village, des cabanes de jardin, et des silhouettes qui donnent l’échelle du paysage.

    L’aquarelle de Villefranche reproduite ici nous semble également participer de l’art du « védutiste » : c’est un travail abouti, la masse des maisons agglutinées les unes contre les autres restitue fidèlement l’étagement du village sur les pentes de la colline, le jeu de lumière particulièrement soigné, le traitement de l’eau et les ombres bleutées animent les façades. L’arrière-plan est à peine esquissé laissant faussement croire à l’inachèvement.

    Il en va de même avec les aquarelles Passage de Raubà Capeu (1848) et la Vue des Ponchettes (1855), dans lesquelles Guiaud peint un panorama d’une grande précision dans les détails topographiques, avec les montagnes enneigées de l’arrière pays proche, les collines mouchetées d’oliviers, l’arc de cercle de la baie. A cette précision correspond celle des occupations humaines que nous avons mentionnées plus haut.

    Des vues plus originales depuis des points de vue lointains comme Nice vue de Saint Pons, Nice depuis Carabacel, Nice depuis le vallon de Magnan et la très belle aquarelle Nice, Cimiez et le Paillon s’éloignent quelque peu toutefois de l’art du « védutiste », car en est absent l’élément anecdotique fourni par les scènes avec personnages : le paysage seul occupe le tableau.

    Les aquarelles intitulées Nice depuis Saint-Pons et Cimiez et le Paillon sont des réalisations qui relèvent plutôt de la pratique de « la prise de notes ». Guiaud a posé la succession des plans en utilisant la couleur et le papier en réserve, la ville est une simple silhouette. Dans les deux oeuvres, le château au loin sert de point de convergence des lignes de fuite ; au fond se devine la ligne d’horizon avec la mer. Cimiez est couronné par le monastère Saint-Pons, le lit du Paillon divague au milieu de bosquets d’oliviers. Le tout est très léger, coloré sans teintes vives.

    L’Entrée du port du château est encore plus instantanée. La vue est prise du sommet de la colline au-dessus de Rauba-Capeù, l’horizon est haut sur la page, la mer miroite. Le pinceau lave la feuille à larges traits, nous ne sommes plus ici dans la veduta mais dans ce que les aquarellistes britanniques ont appelé des sketches, subtils croquis où, plus que travail fini, comptent surtout la mise en place de la géométrie et les notations de couleurs.

    Enfin, n’oublions pas que le genre des vedute correspond à un marché relativement structuré, dépendant des conditions de l’offre et de la demande de produits artistiques faisant office de « souvenir », sur la Riviera à partir du XIXe siècle, comme dans la Venise du XVIIIe siècle.


    50 Electa France, 1971.

    51 Cet instrument permet de trouver facilement un point de vue, de le cadrer et de le reproduire plus aisément sur un support. Le musée des Arts et Métiers à Paris conserve quelques beaux spécimens de chambres noires.

    52 L’une est datée de 1861, l’autre s.d. Cf. Joconde http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/joconde_ fr.


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