Perspective, scénographie et paysage
Jacques Guiaud peintre paysagiste

par Mireille Lacave-Allemand
Historienne de l’Art

  • Vue de Villefranche.3

    Vue de Villefranche.

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud,
    H 16,5 x L 12,5 cm., monogrammée b. g.
    Nice, musée Masséna, n° inv. MAH-441.
    Repr. © J.-P. Potron/Ville de Nice.
  • Venise, vue des quais aux Zattere.

    Venise, vue des quais aux Zattere.

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud.
    H 20,5 x L 30 cm, signée b. g.
    Collection particulière.
    Vente Christie’s, Paris, 15 novembre 2006.
    Photo © Christie’s Images/ The Bridgeman Art Library .
  • La Plage de Mergellina et la colline de Pausillipe.

    La Plage de Mergellina et la colline de Pausillipe.

    Huile sur toile d’Alexandre Hyacinthe Dunouy.
    H 29,5 x L 45,2 cm.
    New York, collection particulière.
    Photo © Torino, Galleria Civica d’Arte Contemporanea.
  • Naples vu depuis une plage de Mergellina.

    Naples vu depuis une plage de Mergellina.

    Huile sur toile d’Anton Sminck van Pitloo, 1829.
    H 48 x L 35 cm.
    Collection particulière.
  • Mergellina à Naples.

    Mergellina à Naples.

    Crayon sur papier de Jacques Guiaud.
    H 12 x L 16 cm, signé, localisé b. dr.
    Collection particulière.
  • Douarnenez.

    Douarnenez.

    Crayon sur papier de Jacques Guiaud.
    H 21,5 x L 30,5 cm, localisé b. dr.
    Collection particulière.
  • Nice, la Terrasse aux Ponchettes.

    Nice, la Terrasse aux Ponchettes.

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud, 1848.
    Signée et datée b. g.
    Collection particulière.
    Photo © Rouillac, Vendôme.
  • Barques de pêcheurs aux Ponchettes.

    Barques de pêcheurs aux Ponchettes.

    Technique mixte, crayon et aquarelle sur
    papier chamois par Jacques Guiaud, 1849.
    H 15,2 x L 24,6 cm, localisé et daté b. g., signé bas dr.
    Nice, musée Masséna, n° inv. MAH-1208-29.
    Repr. © J.-P. Potron/Ville de Nice.
  • Nice, vue de la baie des Anges depuis Rauba-Capeù.2

    Nice, vue de la baie des Anges depuis Rauba-Capeù.

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud, 1848.
    H 10 x L 22 cm, signée, localisée et datée b. dr.
    Nice, collection particulière.
    Photo © Michel Graniou/Acadèmia Nissarda.

    Scènes de la vie quotidienne

    Mer, quais et pêcheurs

    Guiaud promène son pinceau et son carnet de croquis sur les quais, de Douarnenez à Villefranche-sur-Mer. Au crayon ou à l’aquarelle, il rend avec amour l’activité portuaire, les maisons des pêcheurs, quelquefois les cabanes où ceux-ci entreposent leur matériel, les différents métiers en relation avec la mer.

    La mer, il l’a peinte plusieurs fois, bien qu’il ne soit pas peintre de marine, comme le rappelle à juste titre le chapitre dédié à sa biographie. Il l’a peinte principalement à l’aquarelle, de rares fois à l’huile. Elle est toujours calme, sauf sur l’un de ses derniers tableaux (Bastion à Palma) où elle se lance à l’assaut d’un attelage en difficulté.

    Son grand tableau à l’huile du musée de Carcassonne, intitulé Vue de Villefranche, rend compte de la vie du petit peuple du port de par un tarif assez compliqué, dont les voyageurs feront bien de Villefranche16. Villefranche est alors peuplée de 3000 habitants (selon Elisée Reclus) et n’offre rien de remarquable aux touristes, si ce n’est, écrit-il avec commisération, « une église de style italien, décorée avec mauvais goût ». C’est donc une petite ville qui surgit inopinément en descendant de la route de la grande corniche, avec des maisons bâties les unes au-dessus des autres. Elle apparaît dans son écrin de montagnes parsemées d’oliviers, cernée de toute part, d’un côté par la mer, de l’autre par la montagne. En venant de la mer, sur les quais « les bateliers se pressent autour des étrangers pour les engager à faire une promenade au milieu du golfe, ou bien pour se rendre par mer à Nice, à Saint-Hospice, à Saint-Jean, à Monaco. Toutes ces courses sont réglées par un tarif assez compliqué, dont les voyageurs feront bien de demander communication aux bateliers eux-mêmes, s’ils ne veulent pas s’exposer à payer des prix trop élevés »17. Voilà une bien belle mise en garde d’Elisée Reclus, et pourquoi pas l’objet de la discussion un peu vive entre les hommes représentés sur le tableau de Guiaud.

    La rue ou plutôt les escaliers qui montent vers l’église sont un lieu privilégié de convivialité, et toute la vie des gens de mer et de leur famille se déroule dans cet espace public qui ne réserve aucune intimité. Les femmes assises au pied des maisons y proposent leurs marchandises, l’une coud, l’autre cuisine dans un grand faitout, un peu plus haut dans l’ombre bleue, des hommes semblent en train de jouer. Moins alerte qu’avec l’aquarelle pour restituer la vie de cette petite communauté sous le soleil, Guiaud use ici de couleurs franches et puissantes. À la mer vert émeraude répondent les plantes des balcons, à l’ocre lumineux des façades répondent les ombres bleues. Chaque détail est minutieusement observé jusqu’au pêcheur dans sa barque affalant sa voile latine.

    Une autre vue aquarellée, parmi tant d’autres, également intitulée Vue de Villefranche, décrit un paysage urbain violemment éclairé par le soleil, la vue est prise depuis une arcature en avancée sur le quai, vivant exemple de l’amoncellement de maisons plus ou moins délabrées. La mer est une flaque bleue immobile. Trois personnages sous la voûte, viennent vers nous, un quatrième est assis sur une marche et contemple la mer devant lui. L’originalité de la composition saute aux yeux. Guiaud une fois encore propose un cadrage singulier et des arcs dessinés en perspective. L’ensemble est d’une exécution nerveuse, avec quelques coups de pinceaux pour les personnages sous forme de silhouettes sombres, quelques autres pour mettre un peu de relief sur les façades écrasées de soleil, quelques traits sombres pour camper le mur de la maison sous arcade avec ses marches d’escalier et sa porte comme une bouche d’ombre. En dehors d’un climat très favorable, Villefranche est un village de pêcheurs, abrité au creux de sa rade, que commencent à fréquenter les navires de la marine russe, mais que le peintre ignore, et où il se trouve à son aise ; il y reviendra souvent promener son carnet et ses couleurs.

    En Italie également, Guiaud a été émerveillé par les ports, les activités qu’ils génèrent, les gens qui déambulent ou qui y travaillent. À Naples, en 1832, il dessine déjà le quai très animé de la Mergellina ; la scène est encombrée de nombreuses figurines d’un dessin léger. C’est un coin du port au pied de la colline du Posillipo et face au Château dell’Ovo, la plage est bordée d’un muret où les barques viennent s’amarrer. Ce qui était un village de pêcheurs jusqu’à la fin du XVIIe siècle est devenu un quartier urbain. Le beau palmier dessiné derrière un mur de clôture rappelle ce passé villageois de jardins entourés de murs. Le dessin du quai et de la place en arrière-plan où se presse la foule est à peine esquissé, Guiaud ne s’encombre pas ici de pittoresque, mais regarde calmement le va-et-vient de la population napolitaine. Hyacinthe Denouy (1757-1841)18 en a donné une représentation agreste, dans le premier quart du XIXe, le quai n’existe pas encore, la colline est peuplée de maisons et de jardins. Les vedute napolitaines sont bien plus prolixes de détails que l’on peut sans hésiter baptiser de « pittoresques ». La richesse iconographique en relation avec Naples, sa baie, le quartier de Chiaia et le Posilippo, le château dell’Ovo, a de quoi fasciner un jeune peintre de l’âge de Guiaud lorsqu’il découvre la cité parthénopéenne. Il a le mérite de chercher des images singulières et de sortir ainsi des lieux communs de son temps.

    Une aquarelle non datée, représentant le Fondamenta delle Zattere19 de Venise, est également inspirée des vedute vénitiennes. Guiaud a pris le temps de composer un beau paysage du quai de la cité exposé au sud, on y devine l’église des Gesuati de style palladien. Avant de franchir le pont de marbre au dessus du canal débouchant dans celui de la Giudecca, un groupe d’hommes discute, une femme chargée de lourds paniers revient du marché, en second plan une gondole glisse sous le pont. Un bateau ventru est amarré au quai, auquel le peintre a porté une extrême attention ; c’est l’image d’un des bateaux à un seul mât qui naviguaient sur les canaux de Venise et sur ceux de la Terre Ferme, charriant les denrées indispensables à la vie de la cité. Tout ici respire la vie, les trois bonshommes en grande discussion, le gamin qui s’élance, le personnage drapé de noir qui descend les escaliers du pont, et l’autre qui les monte à toute vitesse, les gondoliers qui poussent sur leur rame. Les grands vaisseaux à deux ou trois mâts en arrière-plan disent ce qui subsiste encore du rôle commercial de Venise. Guiaud fait preuve d’une grande maîtrise tant dans la composition que dans la touche, par l’application de nuances de couleurs légères, il module ses teintes délavées sur les façades.

    On peut rattacher à ces oeuvres un dessin de Douarnenez, dont la date est inconnue, qui reproduit la silhouette de la ville et le quai à marée basse, avec les premières maisons bordant le quai ; des badauds se promènent en famille. Le tout est rapidement esquissé avec les éléments structurant la ville. Pourtant, rien ne rappelle ici l’activité des pêcheries et des conserveries de sardines qui ont fait la fortune de la cité bretonne.

    Revenons à Nice. De la terrasse des Ponchettes en 1848, les promeneurs découvrent la mer et la plage, ils viennent profiter de la brise marine qui a bien du mal à pénétrer la vieille ville. Reclus remarque que cette terrasse « est méprisée par les étrangers qui se piquent d’élégance ; cependant c’est incontestablement la partie de Nice la plus pittoresque »20. Encore le pittoresque ! Les terrasses « délaissées » selon Reclus, ne l’étaient pas dix ans avant sous le trait de Guiaud : toute la ville semble bien y déambuler, les bourgeois en haut-de-forme, les familles, les gens du peuple qui habitent dans le quartier voisin dans l’entrelacs des ruelles.

    Au pied du Château de Nice, un chemin se faufile, il gagne le port en contournant la colline. C’est Le chemin de Raubà-capeu ; en 1848, quand Guiaud le dessine, il est en corniche au-dessus des rochers et de la mer, de ce fait il est peu fréquenté, sauf des plus téméraires qui ne craignent pas le vent qui enlève leurs chapeaux21. Un menuisier y a entreposé ses bois de construction ; ainsi l’usage de la voie publique comme lieu d’activité est-il une fois encore consacré. Guiaud ne se lassera pas de le montrer. Après avoir contourné le rocher de Raubà Capeu, la vue embrasse le port et plus loin vers l’est, le quartier du Lazaret.

    Vers l’ouest, la baie s’ouvre généreusement. Le spectateur a à ses pieds la Plage des Ponchettes où les barques sont tirées, gisant sur le flanc. En arrière de la plage se dressent les immeubles élevés de la ville, édifices si particuliers, grimpant vertigineusement à l’assaut des hauteurs à la recherche d’un peu de lumière. Sur la plage, Guiaud observe le matériel de pêche, les filets, la cabane avec le négligé des appentis destinés à abriter les outils de travail. Sur un dessin de 1851, c’est une cabane de plage fourre-tout, y traînent des paniers, du linge est négligemment étendu sur un fil ; la cabane est branlante, et la tonnelle a été dressée avec des matériaux de fortune. Une barque a été hissée sur la grève, des voiles y sont posées. Le parisien nouvellement installé qu’est Guiaud est happé par le spectacle de la plage et de ses alentours, celui de la nonchalance des pêcheurs, du travail des femmes, vendeuses de poissons, lavandières, ravaudeuses de filets. Le dessinateur a le trait vif, il saisit les attitudes des travailleurs, détaille les objets, en insistant sur les ombres pour donner du relief.


    16 Voir supra, p. 161.

    17 Reclus (E.), op. cit.

    18 Cf. Paysages d’Italie : les peintres du plein air (1780-1830), Catalogue de l’exposition présentée aux Galeries nationales du Grand Palais, à Paris, du 3 avril au 9 juillet 2001.

    19 Voir page précédente.

    20 Reclus (E.), op. cit.

    21 D’où le nom du chemin.


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