Perspective, scénographie et paysage
Jacques Guiaud peintre paysagiste

par Mireille Lacave-Allemand
Historienne de l’Art

  • Pêcheur niçois.

    Pêcheur niçois.

    Technique mixte, aquarelle, encre brune et craie blanche sur papier par Jacques Guiaud.
    H 17,5 x L 10,9 cm, non signé, non daté.
    Nice, musée Masséna, n° inv. MAH-1209.
    Repr. © J.-P. Potron/Ville de Nice.
  • Nice, les Ponchettes et la Terrasse.

    Nice, les Ponchettes et la Terrasse.

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud, 1848.
    H 23,5 x L 40 cm.
    signée, datée et localisée b. g.
    Nice, musée Masséna, n° inv. 10281.
    Photo © Muriel Anssens/ Ville de Nice .
  • Barques de pêcheurs aux Ponchettes.

    Barques de pêcheurs aux Ponchettes.

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud.
    H 17,5 x L 30 cm.
    Nice, musée Masséna, n° inv. MAH-1207-10.
    Repr. © J.-P. Potron/Ville de Nice.
  • Fileuse niçoise et son fils.

    Fileuse niçoise et son fils.

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud.
    H 23,2 x L 14,3 cm, signée bas g.
    Nice, musée Masséna, n° inv. 1211.
    Photo © Luc Josia Albertini/ Ville de Nice.

    Scènes de la vie quotidienne

    Scènes de la rue, métiers et marchés

    À partir de ses dessins et aquarelles, nous pouvons dresser un véritable répertoire des métiers : pêcheurs et marins certes, mais aussi marchands et marchandes d’herbes ou de poisson, militaires, gendarmes, paysans et bergers, fermières, prêtres, moines, chasseurs, peintres, muletiers, gondoliers, lavandières, etc. et curieusement aucun véritable métier urbain, pas d’artisan potier, de coutelier, de fabricant de cuir ; seul fait exception un fabricant de corde représenté dans le lit du Paillon21a. Guiaud ne rentre pas dans les échoppes des artisans pour en croquer les outils de travail, ni chez les commerçants pour détailler ce qui est sur les étals. Il n’est pas attiré par la réalité domestique ni par les « natures mortes ».

    L’artiste privilégie les détails vrais, ici la fileuse avec sa quenouille, là le peintre avec sa planche à dessin, ou bien encore le pêcheur et ses filets. Il observe aussi le détail des costumes locaux chez les gens du peuple, de même que la redingote à la mode des bourgeois.

    Les marchés sont pour lui autant de scènes de genre multipliées à plaisir. Les femmes y tiennent le premier rôle, vendeuses ou ménagères pourvoyeuses des familles ; elles vont, leur charge de panier bien plein au bras ou sur la tête. Guiaud ne détaille pas, il donne le mouvement, il croque les attitudes. Sur le marché de Nice, actuelle place Rossetti, il n’y a que des silhouettes vives. On retrouvera de telles silhouettes sur le marché devant la Lonja de Valencia en Espagne, formant une masse qui semble en mouvement, et encore à Séville sur une aquarelle à peine ébauchée.

    Ces scènes que l’on pourrait considérer comme répétitives, n’étaitce la virtuosité de leur exécution, en disent long sur la vie du peuple des villes. Elles nous racontent la vie et la misère de ceux qui n’ont que la ressource occasionnelle et incertaine de la rue pour vivre, sans intimité, dans la promiscuité de maisons mal éclairées, insalubres, ou dans des fermes aux fenêtres cassées, aux volets branlants, aux toits qui menacent ruine, car les gens de la rue sont aussi des paysans venus vendre les quelques denrées cultivées dans leur jardin. Les hommes, pour beaucoup, dépendent de l’offre d’un emploi précaire. Le soleil n’y change rien, l’apparente gaité peut cacher une grande pauvreté, et ceux que nous prenons pour des badauds ne sont peut-être que des pauvres à la recherche de leur subsistance ou d’un travail mal rémunéré ; ainsi des maçons que les nouvelles constructions attirent vers Nice et ses environs. La vision du peintre porte donc témoignage de la vie des plus démunis qui se croisent sans échanger avec les bourgeois en hautde- forme et leurs femmes en capeline. Les jeunes garçons sont très présents dans les rues, avec l’obligation d’y gagner leur vie, et bienheureux est celui qui dans les villages va jouer sous la surveillance de sa mère, comme l’enfant qui joue avec un cheval de bois sur le tableau mentionné plus haut, intitulé Village de montagne, et n’est pas dans la nécessité de trouver son pain quotidien.

    Dans l’aquarelle la Rue Sainte-Réparate, les femmes qui reviennent du marché d’un pas vif font balancer leurs amples jupes ; en avant du groupe, l’une d’elles porte un fardeau sur la tête, elle a le corps bien pris, et Guiaud l’a peinte avec précision, chemisier bleu, jupon rouge, jupe orange. Les couleurs éclatent, et disent le plaisir du peintre à contempler la vie qui s’exprime. Dans le fond, la rue grouille de la foule des ménagères, certaines se pressent à l’entrée des boutiques directement ouvertes sur la rue. Les conversations vont bon train, puisque l’espace public est le lieu des échanges de toutes sortes, nouvelles et médisances. C’est l’heure « de pointe », l’animation est à son comble en ce matin de printemps déjà chaud.

    Dans la Rue de la Buffa déjà mentionnée des femmes du peuple se sont arrêtées, elles bavardent dans l’ombre des maisons. Ici encore, Guiaud les peint dans le costume traditionnel, avec un fichu ou un chapeau niçois, tandis qu’un gendarme poursuit sa marche, le plumet du bicorne au vent ; dans le fond des groupes à pied ou à cheval s’éloignent. Un bourgeois en haut-de-forme serre une ombrelle sous son bras. La vie palpite grâce à un pinceau alerte, gai, franc. La Rue de la Buffa offre un bel exemple de la manière dont Guiaud campe ses personnages. Au premier plan, il pose des silhouettes esquissées dont les formes sont délimitées par un trait et renforcées par des taches de couleurs sur les parties des vêtements et les visages. En arrière plan, il esquisse des masses en mouvement.

    Ces silhouettes pleines de vie résultent de l’observation scrupuleuse du costume des hommes et des femmes de la rue, marqueur social s’il en est. Les pêcheurs vont pieds nus, leurs pantalons sont effrangés, les gamins des rues sont débraillés, les femmes superposent les jupes, jupons, tabliers, et portent un fichu ou une coiffe.

    Déjà, dans des oeuvres de jeunesse (par exemple en 1836, Cathédrale d’Anvers), Guiaud esquissait à travers les personnages et leurs costumes, les oppositions de classes sociales au sein de l’espace public.

    Semble faire exception une aquarelle de la Rue Saint-François, non datée, qui se concentre sur un groupe de gens bien mis assemblés au portail de l’église. Hommes et femmes de la « bonne société » remplissent sereinement leurs devoirs, on est entre soi, les hauts-de-forme en témoignent. Qu’un estropié tende son chapeau pour recevoir l’aumône, n’est pas en soi l’intrusion de la pauvreté dans un milieu social riche et homogène, mais la revendication d’un pauvre à recevoir quelques miettes de cette richesse.

    Par cette approche, Guiaud suggère le contraste entre la ville ancienne et la ville moderne. La rue Saint-François est à Nice la partie aérée où ont été édifiés au XVIIIe siècle les beaux édifices du gouvernement, en bordure de la ville populaire. Dès les années 1850, des visiteurs notent comme le fait Marie de Solms :

    « [...] les rues de l’ancienne partie de la ville sont étroites, sales et obscures ; quelques unes sont tellement rapides qu’on n’y monte et qu’on n’en redescend qu’à l’aide d’escalier, hérissés de cailloux aigus ; on voit s’élever de misérables constructions qui, entassées les unes sur les autres, ne laissent qu’un étroit passage à la circulation de l’air. Mais à mesure que l’on descend vers la ville moderne, tout prend de vastes proportions, tout s’embellit, tour se colore. »22

    C’est l’unique aquarelle où Guiaud a voulu voir cette partie plus « chic » de la ville. De même, il est demeuré indifférent au quartier en cours de construction de l’autre côté du Paillon23, et à ce que Marie de Solms décrit comme : « […] des rues spacieuses, propres, bien tenues, bordées de trottoirs, de vastes places ; des cours ornées de belles plantations, des jardins, des terrasses, longeant le bord de mer ». Il a tourné le dos au spectacle de l’abondance, « des magasins pourvus de tous les objets de luxe, de toilette et d’habillements, des cabinets de lecture […] des cercles, un Casino, un théâtre […] ». Et bien qu’il ait représenté quelques belles demeures au milieu de jardins méditerranéens, il marque sa préférence pour « la cité morne et sévère de l’antique cité, crevassée, lézardée, difforme […] », et pour ceux qui l’habitent24.

     


    21a Collection particulière, voir infra p. 267.

    22 Marie de Solms née Bonaparte Wyse, Nice en 1854, Florence, typographie du Vulcan, 1854.

    23 Quartier de la Croix-de-Marbre.

    24 Marie de Solms, op. cit.

    25 Il s’agit du ténor Manuel Garcia.


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