Perspective, scénographie et paysage
Jacques Guiaud peintre paysagiste

par Mireille Lacave-Allemand
Historienne de l’Art

  • La cueillette des olives à Magnan.

    La cueillette des olives à Magnan.

    Technique mixte, crayon et craie blanche sur papier chamois par Jacques Guiaud, 1849.
    Tondo, H 30,7 x L 23,4 cm, signée et datée b. dr.
    Nice, musée Masséna, n° inv MAH-1208-53.
    Repr. © J.-P. Potron/Ville de Nice.
  • Olivier sur la route de Villefranche.

    Olivier sur la route de Villefranche.

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud.
    H 28,9 x L 23 cm.
    Nice, musée Masséna, n° inv. MAH-1194.
    Repr. © J.-P. Potron/Ville de Nice.
  • Olivier devant la rade de Villefranche.

    Olivier devant la rade de Villefranche.

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud.
    H 26,5 x L 37 cm.
    Nice, musée Masséna, n° inv. MAH-1207-1.
    Repr. © J.-P. Potron/Ville de Nice.
  • Agaves en fleurs vers Sainte-Hélène.

    Agaves en fleurs vers Sainte-Hélène.

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud.
    H 35,4 x L 25,4 cm, signée b. g.
    Nice, musée Masséna, n° inv. MAH-1186.
    Repr. © J.-P. Potron/Ville de Nice.
  • La citadelle de Villefranche.

    La citadelle de Villefranche.

    Technique mixte, crayon et craie blanche sur papier chamois par Jacques Guiaud.
    H 27,1 x L 19,2 cm, signée b. g.
    Nice, musée Masséna, n° inv. MAH-1192.
    Repr. © J.-P. Potron/Ville de Nice.
  • Paysage à Bordighera, près de Nice ; effet de soleil couchant.

    Paysage à Bordighera, près de Nice ; effet de soleil couchant.

    Huile sur toile de Jacques Guiaud.
    H 275 x L 168 cm, signée b. dr.
    Collection particulière.
    Photo © D. Dirou/Acadèmia Nissarda.
  • Les Palmiers à Bordighera.

    Les Palmiers à Bordighera.

    Huile sur toile de Jacques Guiaud.
    H 26 x L 40 cm, ns, nd.
    Collection particulière.
    Photo © F. Hanoteau/Acadèmia Nissarda.
  • Nice, le monastère de Saint-Barthélemy.3

    Nice, le monastère de Saint-Barthélemy.

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud, 1848.
    H 17,5 x L 25,5 cm (à vue), signée et datée b. g.
    Collection particulière.
    Photo © Michel Graniou/Acadèmia Nissarda.

    Peindre au naturel

    Le répertoire végétal

    Revenons au répertoire végétal que Guiaud a privilégié. Y dominent les espèces caractéristiques du paysage méditerranéen, l’olivier et la vigne sur des paysages ponctués de cyprès, des espèces acclimatées telles que l’aloès, l’agave et le palmier.

    L’olivier


    L’olivier est partout, cultivé et non taillé, comme il est d’usage sur ces terres en champs complantées d’arbres fruitiers ou de blé. Quelquefois, l’olivier est redevenu sauvage, échevelé et tordu. Sur un dessin du musée Masséna, Guiaud a saisi une scène de cueillette, un homme est perché dans les branches d’un arbre, sa compagne ramasse les fruits qu’il lance sur un drap étendu au sol.

    Sur la route de la Corniche dont Reclus souligne les « coteaux revêtus d’oliviers », Guiaud a remarqué un grand olivier, dont il fait un de ses sujets favoris ; l’arbre se dresse sur le bord de la route près de Villefranche. Les deux aquarelles publiées ici montrent un vieil arbre au tronc noueux penché au-dessus de la mer. En ville même, c’est sous l’ombre ténue d’oliviers que des hommes bavardent, rue de la Buffa ; et sur les hauteurs de la ville, dans l’enclos de la chapelle Saint- François l’olivier a poussé sans soin et s’est ensauvagé. Reclus ne se fait d’ailleurs pas faute de noter le déclin des oliveraies niçoises :

    « L’olivier dit M. Roubaudi (un de ses correspondants), forme la principale richesse de Nice et des pays environnants. Malheureusement cette richesse est si précaire, si soumise à tant de hasards, qu’elle ressemble parfois à de la pauvreté. Les années d’abondantes récoltes ne viennent qu’à de longs intervalles de cinq ou six ans, et le prix de l’huile descend alors si bas, que les petits propriétaires peuvent à peine couvrir les dettes contractées pendant les années de stérilité … Les engrais actifs sont absolument nécessaires à la prospérité de l’olivier, et parmi ces engrais, les meilleurs sont ceux de l’homme »46.

    La vigne


    Bien qu’elle soit largement répandue dans le bassin méditerranéen, le territoire accidenté du comté de Nice n’en facilite pas la culture. La vigne est cultivée sur des terrasses exigües pour une production strictement familiale de vin ; les marchands de vin de la ville commercialisent des vins importés du Languedoc et les piquettes du terroir, parfois coupées d’eau ; ils sont quelque cent vingt cafetiers-marchands de vins dans la ville vers 1845. Reclus nous sert encore ici de guide :

    « la vigne, dit-il, généralement disposée en longues rangées alternant avec des arbres fruitiers ou des plates-bandes de légumes, occupe une grande partie du territoire de Nice. Les vins rouges et blancs les plus généreux de la contrée proviennent de Bellet, de Saint-Isidore, d’Aspremont, de Saint-Martin-du-Var… mais l’espace de terrain qui produit cette excellente qualité (le Bellet) est très limité… et il se consomme à Nice et à l’étranger, mille fois plus de Bellet que le sol n’en pourrait fournir ».

    Guiaud a observé avec justesse que la vigne poussait aussi en tonnelle. Ce sont des vignes procurant des raisins de table et un jus fermenté fort clair. La tonnelle est un art très ancien, Guiaud pourtant n’y porte pas une attention soutenue, il donne à voir une « idée de treille » plus qu’une réalité de treille. Est-ce la conséquence de sa culture urbaine ? Toujours est-il qu’il ne fait en rien oeuvre de peintre naturaliste.

    Malgré l’ancienneté des cultures et des techniques agricoles traditionnelles, que décrit Elisée Reclus dans son livre, le peintre n’a pas le même regard, il ne s’attache pas à une description botanique et préfère l’évocation à la précision.

    L’aloès et l’agave


    Après les espèces endémiques, Guiaud a peint les espèces exotiques que les botanistes puis les jardiniers ont acclimatées sur la Riviera. Des infinies variétés d’agaves, Guiaud a retenu, comme ses collègues aquarellistes du comté de Nice, la variété la plus spectaculaire, celle à fleur sur une longue hampe. Un dessin daté de 1849 montre un talus en dévers planté d’agaves et d’aloès, les plantes s’accrochent à la terre rare et sèche. Le dessin est précis, le relief pointu des larges feuilles est rendu par un crayon épais, les ombres jouent à donner du relief. Rien n’est apprêté dans ce dessin d’un morceau de nature vierge que seul un oeil expert a pu choisir comme motif.

    Ces plantes d’origine américaine ou africaine se sont acclimatées en zone méditerranéenne, en particulier au jardin botanique de la marine à Toulon47. Sur la côte varoise, agave et aloès sont victimes du gel en 1863-1864 et les rescapés meurent en 1869-1870. Sur la côte des Alpes-Maritimes, ils résisteront mieux, mais seront victimes de l’urbanisation sauvage. Quoiqu’il en soit, entre 1850 et 1860, aloès et agaves deviennent un symbole de la nature de la Riviera48, ils fleurissent en bord de plage et sur les terrains vagues, leur image est devenue un poncif de la peinture du pays de Nice. Trachel, Bensa, Fricero, etc., les peintres les plus représentatifs de l’école niçoise ont utilisé l’aloès comme un signal, presque un marqueur identitaire du territoire.

    Le palmier


    Le palmier est acclimaté sur la côte méditerranéenne depuis le XVIIIe siècle dans sa partie française, probablement plus anciennement dans la localité de Bordighera en Ligurie. Dans ce cas encore, le jardin de la Marine de Toulon a joué un rôle d’initiateur. Avec le développement du tourisme, le palmier décoratif trouve sa place. Alphonse Denis, à Hyères, est le premier à en faire une plante de jardin. Tout naturellement Guiaud l’introduit dans le cadre de ses dessins ou ses peintures sur toile. Sur une huile sur toile, non datée mais postérieure à 1859, est représenté un sujet « orientaliste » avec des cavaliers au repos au pied de majestueux palmiers. Le paysage en arrière-plan est identique à un autre tableau intitulé Bordighera. Sur ces toiles, les rayons du soleil couchant rougissent le ciel et teintent la mer. À l’époque où Guiaud séjourne à Nice et parcourt la contrée, Bordighera est connu comme étant le centre d’un commerce de palmes florissant.

    Reclus en donne la description suivante : « La ville de Bordighera était autrefois la capitale d’une petite République indépendante, comprenant les principaux villages des vallées voisines. Son importance commerciale serait nulle si elle n’expédiait pas en Hollande, en France et surtout à Rome, la plus grande partie des palmes qu’on emploie le dimanche des Rameaux. Tous les jardins, tous les vergers sont remplis de palmiers, qui donnent à la ville un aspect oriental. Quelques uns de ces arbres atteignent parfois une hauteur considérable… ».

    Les deux tableaux de Guiaud montrent bien la domination du palmier dans le paysage et l’économie de la cité. Au-delà de la représentation paysagère fidèle d’une curiosité botanique et esthétique, Guiaud introduit une connotation orientaliste dans ses deux tableaux., ainsi at- il peint sous les palmes des cavaliers vaguement orientaux que d’aucuns interprètent comme des croisés. Nous rappellerons qu’au Salon de 1859, Guiaud avait exposé une Fuite en Egypte au décor similaire49. Cet exemple reste unique dans l’oeuvre du peintre.

     


    46 Reclus (E.), op. cit.

    47 Cf. Vuillet (J.), Les jardins royaux de Provence et le jardin botanique et d’acclimatation de la marine de Toulon, in : Revue de botanique appliquée et d’agriculture coloniale, année 1940, volume 20, n° 230, pp. 694-721.

    48 Cf. Chevalier (M. A.), “Observations sur la flore des Alpes maritimes” in Bulletin de la Société Botanique de France, 1917, 64:1-9, 24-34, DOI : 10.1080/00378941.1917.10836002 (http: //dx.doi.org/10.1080/00378941.1917.10836002).

    49 Probable réplique du Repos de la Sainte Famille (Salon de 1859, n°1369), avec changement de personnages.


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