Par Jean-Paul POTRON
Conservateur de la bibliothèque Victor de Cessole, Nice
Rédacteur en chef de la revue Nice Historique.
Édifice religieux emblématique de l’art baroque et de l’histoire du comté de Nice, l’abbaye de Saint-Pons est un sujet omniprésent dans l’iconographie locale des XVIIIe et XIXe siècles. Elle apparaît ici en majesté dans un écrin de verdure et de montagnes environnantes. L’artiste n’a pas hésité à modifier les proportions de l’église afin d’en allonger les verticales et à la mettre en avant par rapport aux bâtiments conventuels qui la jouxtent, bien rapetissés en ce qui les concerne. C’est une « ficelle » fréquente chez les peintres. Jacques Guiaud s’est placé de façon à ce que le mont Chauve se trouve dans l’axe de la feuille de papier, ainsi l’ensemble conventuel se trouve-t-il déplacé sur la partie gauche de la composition, un point de vue inédit qui renouvelle les représentations frontales courantes. L’église semble ici surgir du moutonnement des oliviers, alors que de face, elle est noyée dans les oliveraies des plaines de Saint-Pons (actuel quartier Pasteur)124.
De même, le point de vue depuis le lit du fleuve a été privilégié afin d’offrir un contexte naturel grâce aux cannaies qui masquent les endiguements supportant la route de Nice à Levens, bien visible sur la photographie contemporaine de Pierre Ferret. De même, la rampe conduisant à l’abbaye et, au-delà vers Cimiez, se trouve dans le dos du peintre, alors que son élève de l’hiver 1853 a préféré en faire le motif de son premier plan (un angle que Guiaud a lui aussi suivi dans un dessin au crayon). À droite du chevet de l’église, on devine, esquissée sur son escarpement rocheux, l’ancienne chapelle construite sur le site où Pons aurait eu le chef tranché125. Encore à droite, quelques touches colorées fondent le village de Falicon dans le paysage. Aucun élément bâti ne doit parasiter l’attention qui doit être exclusivement tournée vers l’abbaye.
D’une aquarelle à l’autre, Jacques Guiaud reprend l’essentiel des couleurs de sa palette, toujours réduite et éclaircie, à l’exception des masses ombreuses des arbres ou des replis de terrain. Cette fois, l’artiste a choisi le début de l’après-midi afin que la façade principale de l’église soit inondée de soleil. L’éclairage latéral permet de souligner les volumes des bâtiments, d’animer les énormes frondaisons des oliviers et les rangées de roseaux. Seul élément vertical, l’abbaye structure en bandes quasi horizontales le ciel, les montagnes et la végétation. À sa forte présence architecturale fait écho la silhouette caractéristique du mont Chauve souvent présente dans les lointains des vues du XIXe siècle.
Avant l’endiguement de leurs rives en 1810, les plaines de Saint- Pons étaient souvent inondées par les crues du Paillon. Des prises d’eau dans le fleuve, des puits, norias et canaux permettaient de les irriguer facilement. Les terres alluvionnaires étaient exploitées dans de nombreuses propriétés agricoles de taille réduite. Aux XVIIIe et XIXe siècles, les eaux du Paillon attirèrent à Saint-Pons des moulins et des ateliers, notamment des scieries à l’exemple de celle représentée au premier plan126. Aux classiques groupes de paysans niçois se rendant en ville et de la lavandière s’ajoute ici une animation inusitée grâce à l’ouvrier occupé à porter un madrier. Une fois encore Jacques Guiaud détermine son point de vue par rapport au sujet central et au premier plan, l’un étant souvent instructif et plaisant, l’autre imposant et renouvelé.
124 La lithographie Couvent de Saint-Pons, près de Nice, incluse dans l’album Nice et Savoie paru en 1864, en donne l’exemple le plus connu.
125 Voir infra, Nice, la chapelle de Saint-Pons, p. 308-309.
126 En revanche, le sous-sol inondé empêcha d’y construire de gros bâtiments avant l’apparition des techniques modernes de construction au XIXe siècle. Le long des falaises au pied de Cimiez, des carrières étaient exploitées pour en extraire des pierres de taille et surtout le gypse, matière première du plâtre.
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