La ville à la campagne, la campagne dans la ville,
l’album aquarellé de Nice et ses environs.

Par Jean-Paul POTRON
Conservateur de la bibliothèque Victor de Cessole, Nice
Rédacteur en chef de la revue Nice Historique.

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  • Vue de Nice depuis Sainte-Hélène.

    Vue de Nice depuis Sainte-Hélène.

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud.
    H 12,5 x L 20,5 cm.
    Extraite de l’Album aquarellé de Nice et ses environs.
    Nice, collection particulière.
    Photo © Michel Graniou/Acadèmia Nissarda.
  • Nice, la plage à Sainte-Hélène.2

    Nice, la plage à Sainte-Hélène.

    Aquarelle sur papier d’Urbain Garin
    de Cocconato.
    H 12 x L 13,3 cm.
    Nice, bibliothèque de Cessole, n° inv. MAH-2773.
    Repr. © J.-P. Potron/Ville de Nice.
  • Nice depuis l’église Sainte-Hélène.

    Nice depuis l’église Sainte-Hélène.

    Aquarelle sur papier de Félix Ziem, 1843.
    H 22,1 x L 35,3 cm.
    Devonshire Collection, Chatsworth (Derbyshire, UK).
    Album n° 4, f. 33.
    By permission of the Duke of Devonshire
    and the Chatsworth Settlement Trustees.
  • Vue de Nice depuis Carras.

    Vue de Nice depuis Carras.

    Huile sur toile d’Hercule Trachel, H 39 x L 69 cm, signée b. g.
    Nice, musée Masséna, n° inv. MAH-256.
    Photo © Michel de Lorenzo/Ville de Nice.

    Vue de Nice depuis Sainte-Hélène

    Il en va tout autrement avec cette aquarelle. Guiaud se singularise en rejetant cette fois les références napolitaines souvent exploitées par ses collègues. Les peintres français Paul Huet, Théodore Frère, Félix Ziem... et la cohorte des paysagistes niçois emmenés par Joseph Fricero et Hercule Trachel ont largement illustré le paysage littoral de Nice appréhendé depuis la pointe de Carras. Nombre d’entre eux ont choisi de placer la masse du mont Agel au centre de la composition et d’arrondir la courbe de la baie des Anges afin d’accuser les ressemblances avec la baie de Naples surmontée par le Vésuve. Il est vrai que les fameuses gouaches napolitaines en avaient largement diffusé le motif à travers l’Europe. Le Pausilippe, cette colline du nord ouest de Naples, d’où la vue sur la baie était particulièrement belle avait donné le nom à une école locale du paysage, la scuola di Posillipo, dont le renom dépassa vite les frontières du royaume des Deux-Siciles101. L’un de ses fondateurs, Giacinto Gigante (1806-1876), eut une grande influence sur l’art du peintre niçois Hercule Trachel.

    Jacques Guiaud n’appartient pas à ce cercle d’influences. Il refuse ici le poudroiement doré du crépuscule et la vue panoramique. Nous sommes au milieu de la journée et l’aquarelle est occupée pour moitié par la modeste masure en planches d’un pêcheur, voire d’un paysan. Elle n’est pas qu’un simple motif du premier plan, mais une construction réelle que l’on retrouve dans d’autres représentations, notamment sous le pinceau d’Urbain Garin de Cocconato. Derrière la clôture naturelle des agaves on devine une tonnelle couverte de vignes et, à droite des deux gigantesques fleurs de pita, s’élève le long balancier en bois permettant de faire monter et descendre le seau dans le puits. Les nappes phréatiques étaient alimentées par les nombreux vallons qui descendaient des collines. Plus ou moins mélangées à l’eau de mer, elles formaient vers la surface des zones marécageuses qui permettaient une relative mise en cultures du littoral entre le Magnan et le Var. Assez pauvres, faites de terres mélangées aux galets, battues par les vents et les embruns, les landes du bord de mer n’offraient pas les aspects enchanteurs d’une station balnéaire. Sans forcer le trait misérabiliste du site - à la manière napolitaine - Jacques Guiaud évoque plutôt la vie traditionnelle d’un faubourg niçois excentré, celui de Sainte-Hélène.

    Dans une aquarelle de 1843102, le jeune Félix Ziem avait campé le même site avec une colonie d’agaves omniprésente en premier plan qui masquait une partie du hameau de Sainte-Hélène. Guiaud réduit encore le champ en excluant de l’image l’église, hors cadre sur la gauche. Installé sur la route de France dans l’ombre que prodigue la maisonnette, le peintre poursuit dans la veine locale en s’attachant au couple traditionnel de paysans, l’homme coiffé du bonnet phrygien à pied, la femme chapeautée de la capeline à larges bords monte en amazone une mule qu’une deuxième suit, lourdement bâtée. Ce groupe qui soulève un nuage de poussière met en branle un premier plan omniprésent au sein de la composition. Et Nice dans tout cela ? De même que dans la vue de Ziem, la ville est réduite à une étroite bande d’immeubles que l’on devine à peine tant elle est insolée par la lumière vive de midi. Coincée entre mer et montagnes, la part urbaine de la cité est ténue face à un paysage naturel, immense et aride. La luminosité est si puissante que le ciel a perdu toute couleur céruléenne et que les sommets dans les lointains se confondent avec lui. Seuls, la mer dans un magnifique dégradé de bleu cobalt, la jupe vermillon de la paysanne et les verts des frondaisons apportent des touches colorées dans un ensemble dominé par la lumière désaturant toute couleur. Jacques Guiaud est l’un des rares peintres de la moitié du XIXe siècle qui a compris la lumière méditerranéenne et en a réussi la traduction picturale.


    101 Devonshire collection, Chatsworth. Voir Paysages de Nice, Villefranche, Beaulieu..., ouvrage cité, p. 53.

    102 Voir à ce sujet, 1388 : la dédition de Nice à la Savoie, actes du colloque international de Nice (septembre 1988). Paris, Publications de la Sorbonne, 1990, 530 pages.


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