La ville à la campagne, la campagne dans la ville,
l’album aquarellé de Nice et ses environs.

Par Jean-Paul POTRON
Conservateur de la bibliothèque Victor de Cessole, Nice
Rédacteur en chef de la revue Nice Historique.

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  • Paysannes et bergers du comté de Nice.

    Paysannes et bergers du comté de Nice.

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud.
    H 12,4 x L 20,5 cm.
    Extraite de l’Album aquarellé de Nice et ses environs.
    Nice, collection particulière.
    Photo © Michel Graniou/Acadèmia Nissarda.
  • Costumes et types.

    Costumes et types.

    Gravure de Fessart
    d’après un dessin de Jacques Guiaud.
    H 9,7 x L 15,3 cm.
    extraite de L'Illustration, 31 mai 1856, p. 365.
    Collection particulière.
    Repr. © J.-P .Potron/Acadèmia Nissarda.
  • Paysannes et bergers du comté de Nice.2

    Paysannes et bergers du comté de Nice.

    Crayon sur papier de Jacques Guiaud.
    H 13,4 x L 20,8 cm.
    Nice, musée Masséna, n° inv. MAH-1208-38.
    Repr. © J.-P. Potron/Acadèmia Nissarda.

    Paysannes et bergers du comté de Nice

    Les représentations de costumes figurent dans la majorité des albums de souvenirs liés au voyage et à la découverte de contrées plus ou moins lointaines. Elles complètent les sites dont les personnages locaux animent les premiers plans. Depuis la popularisation du Grand Tour et du périple en général, notamment vers l’Italie au XVIIIe siècle, la connaissance d’une région passe d’un côté par ses paysages distinctifs, de l’autre par les vêtements typiques, révélateurs des pratiques anciennes et des singularités d’un pays. Grâce à la lithographie, les planches de costumes connaissent un énorme succès. Des dessinateurs s’en font une spécialité – les « faiseurs de bonhommes » – et animent les vues réalisées par les paysagistes. Les singularités vestimentaires des vallées du comté de Nice bien cloisonnées par le relief n’échappent pas aux voyageurs curieux au nombre desquels les peintres appartiennent souvent149.

    Jacques Guiaud se conforme en tous points à cette tradition artistique. Non seulement, la très grande majorité de ses oeuvres niçoises montrent des habitants et des hivernants, mais il lui arrive aussi de réaliser des gros plans dans lesquels les costumes et les métiers corrélatifs ont la vedette. Après le « petit peuple » de la mer avec l’aquarelle des pêcheurs aux Ponchettes150, voici celui de la terre ferme. Une rencontre inopinée entre une paysanne niçoise et deux couples de Brigasques, les uns se rendent au marché en ville, les autres en reviennent, telle est la scène. C’est une conversation entre femmes qui échangent les dernières nouvelles et cela semble passionnant. Ça risque aussi de durer se disent les deux hommes légèrement en retrait. L’un fier, appuyé sur son bâton de berger, la main gauche accrochée à la boucle de sa ceinture, regarde ailleurs, l’autre plus détendu, les mains dans les poches, observe ces femmes qui refont le monde. Ils attendent que ça se passe... C’est remarquable d’observation et de mise en scène. Considérons le sixième personnage qui se fond dans le lointain, cette paysanne de dos qui s’en va vers la ville avec son panier de victuailles sur la tête : il relie la scène à l’arrière-plan tout en connotant la fréquentation du chemin.

    Autre réussite avec l’imprécision intentionnelle du fond esquissé au moyen d’un lavis très dilué. On pourra reconnaître la tour Saint- François du vieux Nice précédé par l’alignement des platanes sur les Bastions (actuel boulevard Jean-Jaurès). La scène se situerait en ce cas rive droite du Paillon, sur le quai Saint-Jean-Baptiste, peut-être à côté de la fontaine des Tritons, alors installée sur la place du Collegio nazionale (actuel site du lycée Masséna)151. Quant aux montagnes en arrière-plan, on aura bien du mal à les reconnaître. Habilement, le peintre suggère un décor local plausible mais indéfini, connotant le comté de Nice réputé pour les pentes prononcées de ses reliefs intérieurs, afin de laisser la vedette aux costumes.

    C’est une explosion de couleurs. Le peintre représente les « indigènes » en habits de travail, ils ne sont ni endimanchés, ni victimes des folklorismes futurs. La couleur est ici intrinsèque à la vie quotidienne, au labeur et à la langue. Ces personnages sont bien individualisés, les trois femmes centrales surtout.

    Aucune n’est nu-tête, il faut se protéger du soleil mais aussi de la poussière. Aussi, la coiffe fait partie des éléments clés du costume. La Niçoise arbore la capelina, un chapeau de paille à large bords tenu par un ruban, les paysannes des vallées sont couvertes plus simplement, l’une d’un bonnet rouge en tissu fort, l’autre d’un simple foulard bleu noué sous le menton. Le fichu peu cher, léger, lavable est alors le couvre-chef le plus courant.

    Toutes sont vêtues de jupes longues et bouffantes, en serge finement rayée et plissée pour les Niçoises, en coutil pour les Brigasques. Les montagnardes montrent un corset lacé de cordons colorés et serré à la taille sur un corsage blanc. Par-dessus le tablier festonné, le fassolettò, un fichu en coton court est noué sous le cou, alors que chez la Niçoise un châle brodé, ajusté sur les épaules et pris dans la ceinture retombe en couvrant le tablier sur chaque hanche.

    La pourtairis (porteuse) montre le costume niçois de dos. Le châle imprimé descend en pointe dans le dos. La toursada, ce large ruban de velours noir torsadé dans le chignon dont les deux pans retombent dans le dos, est souvent utilisé lorsqu’il faut porter un panier sur la tête.

    Les hommes portent l’un, la veste courte, l’autre le gilet étroit en peau sur une chemise en toile. Sur le court pantalon de bure épaisse et brune, noué au genou, est enroulée sur plusieurs tours à la taille la taïola, la ceinture de laine rouge. Le premier est couvert du bonnet phrygien de laine rouge, le second du chapeau en feutre de forme conique à bords étroits. Ils portent des chaussures ferrées recouvertes de guêtres blanches montant jusqu’aux genoux. On note l’absence du manteau, la limousina, ce qui peut indiquer que nous sommes à la belle saison. Enfin le berger au premier plan tient sur l’épaule le sac à double poche et, à la main, le bâton de marche152. Comme indispensables accessoires, notons la panière sur la tête, le panier au bras et surtout le bidon de lait au sol dont les reflets métalliques attirent le regard.

    Ce groupe a fait l’objet d’un croquis qui reprend la même disposition de l’aquarelle, hormis deux personnages assis sur la droite dont la facture sensiblement différente indique un rajout ultérieur. Les six personnages sont croqués à coups de crayon rapides souvent concentriques afin de circonscrire le trait adéquat qui fait alors l’objet d’un nouveau passage plus foncé. Les principaux contours marquant les volumes ont fait l’objet d’incisions au stylet afin de dupliquer la scène. Les quatre personnages de gauche font partie d’un montage de trois groupes, publié par L’Illustration dans l’article déjà cité de 1856, preuve supplémentaire de l’importance que revêt la représentation des costumes provinciaux.


    149 Sylvain Amic, « Enjeux artistiques des costumes de Nice au XIXe siècle », Nice Historique, 1998 no 4, p. 166 et suivantes.

    150 Voir supra p. 250.

    151 Voir infra p. 310.

    152 Sur le costume brigasque voir Marc Ortolani, « Le costume de la haute Roya au XIXe siècle », Nice Historique, 1988 no 4, p. 198 et suiv.


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