Par Jean-Paul POTRON
Conservateur de la bibliothèque Victor de Cessole, Nice
Rédacteur en chef de la revue Nice Historique.
Il a fière allure le château de Saint-André sous le pinceau de Guiaud. Bien illuminé par un plein soleil d’après-midi, objet d’un dessin net et d’une mise en scène réfléchie, il occupe le centre d’une composition plongée dans la pénombre pour le tiers inférieur et traitée de manière suggestive dans le tiers supérieur. En se plaçant sur le bas-côté de la route de Levens, le peintre évite la vue frontale et l’écrasement perspectif ; il peut ainsi représenter l’édifice en volume et insister sur l’écrin minéral et végétal que le lieu lui offre.
De l’ancien ensemble défensif qui barrait les gorges de Saint-André reste à droite la maison forte transformée en villa de plaisance à la Renaissance. Au début du XVIIIe siècle une loggia rythmée d’arcades aveugles est venue la relier à la chapelle baroque située à l’aplomb du ravin. Ancienne propriété des Thaon de Revel, une importante famille du comté de Nice, le château de Saint-André leur fut confisqué par la Révolution française, puis rendu à la Restauration129. Mais les Thaon, désormais établis à Turin, n’y viennent plus que très épisodiquement ; ils ont délaissé le château qui a bien perdu de son lustre – surtout dans ses intérieurs – lorsque Guiaud le dépeint130.
Néanmoins, cette noble résidence jouit d’une belle fortune picturale, d’une part à cause de sa situation entre l’abbaye de Saint-Pons et la grotte de Saint-André, de l’autre parce que sa position sur un plateau rocheux qui domine le lit d’un bras du Paillon est saisissante. Chaque dessinateur, peintre, graveur, photographe de la région ou de passage en a laissé une représentation, frontale et similaire à de rares exceptions près.
Effectuer la promenade le long de la vallée du Paillon depuis Nice jusqu’au château de Saint-André est un incontournable du séjour niçois depuis le XVIIIe siècle. On la recommande à cause des divers sujets d’intérêt qu’elle offre aux hivernants : à chaque tournant s’ouvrent des points de vue variés, les sites naturels alternent avec les ensembles architecturaux, les passages ombreux succèdent aux parties en pleine lumière, la dénivellation restant douce tout au long du chemin. Si Saint-André est alors en vogue, c’est grâce à l’édification de la route reliant Nice à Levens entre 1827 et 1842.
Pourtant si curieux des architectures populaires, Guiaud ne s’attarde pas ici sur les moulins à eau qui s’échelonnent sur l’épaulement rocheux, ni sur la végétation exotique qui croît en contrebas du château. Il les laisse dans l’ombre, noyés dans un foisonnement végétal indistinct, hormis quelques grands arbres. Peut-être aussi afin de ne pas produire une énième vue d’un endroit rabâché, Guiaud dissimule l’entrée des gorges à gauche par une énorme masse rocheuse brossée de touches nerveuses et animée par des oliviers, un choix auquel il recourt souvent afin de délimiter le paysage, rappelons-nous de la vue de Nice depuis La Bornala par exemple. En revanche, pour la lithographie qu’il laisse du même sujet, le peintre préfère opter pour un angle et un discours plus conventionnels : il se place face au château, sur la route, afin de bien en représenter le tracé qui pénètre dans les gorges de la Banquière vers un autre point d’intérêt, la fameuse grotte de Saint-André.
129Voir « Saint-André de la Roche et le château des Thaon de Revel », Nice Historique, 2006 n°2.
130 Lors de l’annexion du comté de Nice à la France les Thaon de Revel restent fidèle à la maison de Savoie et optent pour la nationalité italienne. Le château est vendu en 1862 à l’hospice Saint-Paul puis devient la propriété successive de plusieurs associations religieuses. Il sert d’école, de colonie de vacances, de casernement et d’hôpital militaire. Enfin, en 1956, l’Association des Compagnons d’Emmaüs s’y installe.
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