Par Jean-Paul POTRON
Conservateur de la bibliothèque Victor de Cessole, Nice
Rédacteur en chef de la revue Nice Historique.
Curieux nous semble le choix des deux aquarelles qui concluent ce périple. Ce sont deux gros plans de format vertical centrés sur deux monuments niçois : une simple chapelle sur un piton rocheux et une fontaine ouvragée. Qu’ont-ils de si exceptionnels pour nous faire admettre qu’il s’agit d’une intention délibérée et non pas d’un rajout de vues oubliées lors de la réalisation de l’album ?
Si nous nous replaçons dans le contexte historique des deux ouvrages représentés à l’aquarelle, des explications peuvent être avancées. On sait l’importance qu’avait pour le monde occidental catholique la possession des reliques de saints puisque, pour l’édifice sacré qui les détenaient, c’était souvent la fortune assurée grâce aux nombreux pèlerins qui venaient les vénérer. Or, avec saint Pons, Nice possédait non seulement le reliquaire complet du martyr, mais en plus les lieux de sa passion.
Selon la tradition hagiographique174, Pontius était un jeune chevalier romain qui se convertit au christianisme avec sa famille. Devenu sénateur à la suite de son père il profita de son rang pour multiplier les actions prosélytes, donnant ses biens au pape Fabien (236-250) pour qu’il les distribue aux pauvres, obtenant les conversions de l’empereur Philippe l’Arabe (244-249) et de son fils. Avec le retour au pouvoir des empereurs païens, Valérien (253-260) et Gallien (260-268), les persécutions reprirent contre les chrétiens. Pontius dut quitter Rome ; arrivé à Cemenelum (Cimiez) il fut arrêté sur ordre du gouverneur des Gaules Claudius. Refusant de sacrifier aux dieux païens, il fut soumis au supplice du chevalet, mais l’engin se brisa. Livré ensuite à deux ours dans les « arènes » de Cimiez, les bêtes se détournèrent de lui et attaquèrent leurs gardiens. Le bûcher se révélant tout aussi inefficace, Pontius fut finalement décapité le 11 mai 261175 sur un rocher surplombant le Paillon et son corps fut précipité au bas de la falaise. Sa tête roula dans le torrent et, poursuit la légende, fut emportée par la mer jusqu’à Marseille où la relique fut recueillie par les moines de l’abbaye Saint- Victor. Le corps fut inhumé dans une nécropole située à l’emplacement de l’actuelle abbaye ; quant au lieu de la décapitation, une chapelle- martyrium dédiée à saint Pons y fut érigée.
Situés sur le parcours de l’antique via Julia Augusta, les sites de Saint-Pons et de Cimiez connurent une nouvelle affluence grâce à la ferveur des pèlerins. Avant sainte Réparate et de manière bien plus importante, saint Pons permit à Nice de connaître une renommée certaine dans le monde chrétien. Les Bénédictins en charge de l’abbaye essaimèrent en Provence, dans l’Ubaye et jusqu’en Espagne où Pons (Ponce) est toujours célébré.
C’est cette modeste chapelle-martyrium qu’a représenté Jacques Guiaud. L’histoire de l’oratoire, son importance pour le passé de Nice, sa situation exceptionnelle sur un à-pic au-dessus du Paillon ont inspiré les artistes niçois et étrangers comme le grand photographe prussien Baldus qui en réalisa un cliché vers 1855176. La plupart d’entre eux appréhendent la chapelle en contre-plongée depuis le lit du cours d’eau, notamment Hercule Trachel qui la dépeint plusieurs fois en aval et en amont. Guiaud en revanche s’est installé à mi-pente côté nord afin d’ajuster l’édifice sur la ligne de crête opposée. Cette position lui permet de placer la chapelle sur un fond de ciel et de dresser la paroi vertigineuse au centre de la composition. En contrebas, les paysans qui cheminent sur la route de Levens et les arbres plantés sur la rive opposée donnent l’échelle du paysage représenté. Guiaud s’est peut-être inspiré ici de la lithographie romantique de François-Joseph Dupressoir (1800-1859) réalisée sur un dessin du vicomte de Senonnes177. Parue en 1832, elle présente un point de vue très proche.
Abandonnée depuis des années pour des raisons de sécurité à cause d’éboulements répétés de ce côté-ci du Paillon, la chapelle n’a plus de toit et menace ruine. Son état précaire en faisait sans doute un sujet encore plus intéressant pour les dessinateurs et les photographes désireux d’en transmettre une image. Avec l’urbanisation du quartier Pasteur, le développement de l’hôpital et l’aménagement de la route (actuelle avenue Joseph-Raybaud) les restes de la chapelle et des pitons rocheux disparurent aux alentours de 1925 dans l’indifférence semble-t-il.
174 Il existe une trentaine de manuscrits de la Passion de saint Pons. Sa rédaction initiale ne pourrait être antérieure au Ve siècle. Elle fut transcrite ou imprimée des dizaines de fois depuis le IXe siècle. Voir Claude Passet, La Passion de Pons de Cimiez (Passio Pontii). Sources et tradition, Belisane, Nice, 1977.
175 Date traditionnelle, on avance aujourd’hui plutôt 257 ou 258 (Passet, ouvrage cité).
176 Voir La Photographie à Nice... ouvrage cité, p. 163.
177 Alexandre de La Motte-Baracé vicomte de Senonnes, est un écrivain et peintre français (1781-1840). Ami d’Ingres avec qui il part en Italie en 1805, il est proche de la duchesse de Berry à qui il dédie ses Vues pittoresques d’Italie, de Suisse, de France et d’Espagne... La Ruine d’une chapelle près de Nice est la 4e planche d’une suite de Cinq vues de Nice et des environs publiée chez Mantoux. Voir Bibliographie de la France, vol. 21, 1832, p. 606.
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