La ville à la campagne, la campagne dans la ville,
l’album aquarellé de Nice et ses environs.

Par Jean-Paul POTRON
Conservateur de la bibliothèque Victor de Cessole, Nice
Rédacteur en chef de la revue Nice Historique.

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  • Vieux Nice, la rue Saint-François-de-Paule.

    Vieux Nice, la rue Saint-François-de-Paule.

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud.
    H 20,3 x L 12,4 cm.
    Extraite de l’Album aquarellé de Nice et ses environs.
    Nice, collection particulière.
    Photo © Michel Graniou/Acadèmia Nissarda.

    Nice, la rue Saint-François-de-Paule

    Le format reste vertical, mais nous quittons le vieux Nice à proprement parler pour rejoindre la ville nouvelle. Au XVIIIe siècle, les terrains caillouteux et marécageux du « Pré aux oies » situés entre les anciens remparts ouest démolis en 1706, le Paillon et la mer commencèrent à être aménagés. L’église des frères minimes (Saint-François-de-Paule) bénie en 1741, le séminaire diocésain (mairie actuelle) ouvert en 1750, le théâtre Maccarani (l’Opéra) inauguré en 1777, attirèrent autour d’eux plusieurs demeures patriciennes, modernes et confortables.

    Sous la Restauration sarde, les terrains encore disponibles furent rapidement lotis et formèrent le premier quartier résidentiel de Nice aux rues plus larges, se coupant à angles droits et pourvues de trottoirs. On l’appelait la Vila nova (la ville neuve). Le théâtre Maccarani, déjà décati et exigu, a été détruit au profit du nouveau Théâtre royal en 1826-1828 ; on devine son portail d’entrée à colonnes sur la droite de l’aquarelle. À côté, s’alignent les maisons bâties par Antonio San Pietro et ses fils dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle63. Ennoblis par le roi de Sardaigne, ces derniers furent faits comtes de Saint-Pierre et de Nieubourg en 1783-1784. Les immeubles prirent alors le nom de maisons Saint-Pierre-de-Nieubourg. Des hôtes prestigieux y logèrent comme le duc de Gloucester, le pape Pie VII, le roi de Sardaigne Victor- Emmanuel Ier.

    À partir des années 1840, le quartier chic de Nice se trouve alors au quai du Midi et dans la rue Saint-François-de-Paule. Ils sont la prolongation vers l’ouest du cours Saleya - dont on voit la masse des frondaisons en-dessous de la colline du Château - et des Terrasses dominant les Ponchettes qui formaient le quartier élégant du XVIIIe siècle. Cette voie est longtemps restée une impasse avant de déboucher sur le quai des Phocéens (alors nommé Charles-Albert) par une placette dite également des Phocéens (1842). Si la rue du Pont-Neuf (actuellement de la Préfecture) reste l’artère commerçante du quartier de Villanova, la rue Saint- François-de-Paule est devenue la voie la plus select, par sa largeur de quinze mètres, ses trottoirs de deux mètres, ses riches demeures particulières et son Théâtre royal. Tout au long de cette voie se tient également, tous les matins, le marché aux fleurs qui attire la riche clientèle étrangère. Pour toutes ces raisons, plusieurs magasins de luxe s’y sont installés comme la bijouterie Castel, les salons de coiffure Pouget et Maccari, les tailleurs Villa et Cohen, le magasin de modes Gaude et Brun, l’opticien Doninelly, les pâtisseries-confiseries Cresp et Brondet, la galerie de tableaux Robiony, l’épicerie anglaise Berlandina. On y trouve encore les hôtels du Nord et d’Italie, le restaurant des Trois-frères provençaux, les Bains polythermes Mary-Pierre. Professeurs, négociants, notaires y tiennent des bureaux, les consulats d’Autriche, du Danemark, des États-Unis, des Pays-Bas y ont leur siège.

    Le principal édifice reste l’église des Minimes bâtie en 1722-1723 ; c’est son saint patron François de Paule qui a donné son nom à la rue, puis à tout le quartier après l’annexion de Nice à la France en 1860. Les frères mendiants avaient disparu à la Révolution, l’église fut érigée en paroisse en 1838 et confiée aux Dominicains. Plusieurs fois agrandie et rénovée, sa façade est achevée en 1773. Monumentale, d’un néoclassicisme à peine infléchi par quelques éléments baroques, Saint- François est l’une des églises niçoises qui se rapproche le plus des églises turinoises. Les pots à feu, fréquemment utilisés pour couronner les frontons à volutes des édifices baroques niçois, ont là aussi disparu.

    Elle est l’église en vogue aussi bien par les colonies étrangères que par les grandes familles niçoises. C’est l’heure de la messe, la foule pénètre dans la maison de Dieu pour assister à l’office. Un velum tendu à travers la rue protège les fidèles des ardeurs du soleil. Un infirme sollicite l’aumône, ainsi qu’une mère assise sur le trottoir avec son bébé dans les bras. Aussi bien par l’animation que par la mise en perspective, Jacques Guiaud réussit une de ses plus belles et de ses plus originales aquarelles niçoises avec cette rue Saint-François-de-Paule. La mise en place de la rue en enfilade, la perspective en contre-plongée, la subtilité de la palette rappellent de superbes vues urbaines réalisées par les aquarellistes britanniques, nous pensons en particulier au Corso Sant’Anastasia de Vérone par Richard Parkes Bonington ou à la vue du palais ducal de Ferrare par Samuel Prout.


    63 Luc Thevenon, Du Château vers le Paillon, ouvrage cité, p. 294-295.


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