La ville à la campagne, la campagne dans la ville,
l’album aquarellé de Nice et ses environs.

Par Jean-Paul POTRON
Conservateur de la bibliothèque Victor de Cessole, Nice
Rédacteur en chef de la revue Nice Historique.

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  • Vue de Nice depuis le belvédère de la villa Gastaud.

    Vue de Nice depuis le belvédère de la villa Gastaud.

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud.
    H 12,4 x L 20,4 cm.
    Extraite de l’Album aquarellé de Nice et ses environs.
    Nice, collection particulière.
    Photo © Michel Graniou/Acadèmia Nissarda.
  • Vue de Nice depuis la villa Gastaud.

    Vue de Nice depuis la villa Gastaud.

    Aquarelle sur papier d’Hercule Trachel.
    H 27,5 x L 47,5 cm.
    Nice, musée Masséna, MAH-6012.
    Repr. © Michel de Lorenzo/Ville de Nice.

    Vue de Nice depuis le belvédère de la villa Gastaud

    Nous voici de retour dans le beau monde policé du littoral, plus à l’ouest que le pont Magnan, au quartier Fabron avec un nouveau panorama extraordinaire sur Nice. En contrebas, le hameau de Sainte- Hélène dont on distingue quelques maisons entre les cyprès s’urbanise le long de la route de France. Ses deux principales constructions, l’église Sainte-Hélène et la batterie Pauline, se trouvent hors champ à droite dans le dos du peintre. Car ce qui frappe d’emblée, c’est le premier plan qui occupe un bon tiers de l’aquarelle. Jacques Guiaud attache souvent en effet une attention particulière aux premiers plans : ils doivent à la fois apporter une majoration esthétique à la représentation et correspondre à un point de vue réputé.

    Et depuis les pentes de Fabron, la vue sur Nice est superlative. C’est la raison pour laquelle le négociant et banquier Honoré Gastaud94 a fait édifier un imposant belvédère au sud de son immense propriété, le domaine de Barla95. Vers 1850, il la complante de plantes exotiques et l’agrémente de fabriques. Profitant de l’important dénivelé et du panorama à 180° que l’on peut alors découvrir en partie sud du terrain, il lance une longue terrasse supportée par de hautes arches maçonnées au-dessus de la végétation. On peut y accéder par une volée double d’escaliers et profiter du spectacle de la baie des Anges accoudé à un garde-corps fait de claustras en tuiles96. Aucun vis-à-vis ne vient alors boucher une vue rapidement considérée comme l’une des plus remarquables de Nice. Le domaine Barla devient une adresse réputée pour les amateurs de promenades au même titre que la villa Arson à Saint-Barthélemy ou la ferme d’Alphonse Karr près de l’actuel boulevard Gambetta.

    Le belvédère est alors un élément majeur de l’architecture de villégiature dans le Midi. Héritage de la luxueuse villa romaine, remis à la mode à la Renaissance, on le trouve aussi bien sous la forme de terrasse que de tour au sommet d’une toiture ou encore d’encorbellement en haut des murs de soutènement. La promenade avec vue, de même que la demeure dont l’implantation ménage une belle vue97, jouent un rôle majeur dans la transformation du paysage de Nice et, plus généralement, de la Riviera. La terrasse belvédère est à la mode, la fameuse villa Durazzo- Pallavicini de Pegli inaugurée en 1846 en offrait un superbe exemple qui a pu inspirer le banquier niçois98.

    Lors de son séjour de 1856-1857, l’impératrice douairière Alexandra Feodorovna, veuve du tsar Nicolas Ier, demande à visiter ce jardin réputé et à en découvrir la vue prisée. En 1860, pour les fêtes de l’annexion de Nice à la France, c’est au tour de Napoléon III et d’Eugénie d’y être reçus. Puis en 1864, on y retrouve l’impératrice russe Maria Alexandrovna, l’épouse du tsar Alexandre II. C’est la tsarine accompagnée de sa suite qu’une aquarelle d’Hercule Trachel représente sur le belvédère de la villa Gastaud99. Prise du même endroit que celle de Jacques Guiaud, mais d’un peu plus loin, elle élargit la vue grâce au format panoramique. En dépassant le strict champ visuel, il peut ainsi représenter à gauche une des fabriques du jardin Gastaud et inclure l’église Sainte-Hélène à droite. Ajoutons qu’en-dessous de la terrasse se trouvait un salon décoré de scènes champêtres sous le pinceau d’Hercule Trachel100.

    Pour tout voyageur cultivé, la baie des Anges surmontée par le mont Agel fait alors immanquablement penser à la baie de Naples et au Vésuve. Ainsi, toutes proportions gardées, la propriété Gastaud peut être rapprochée des splendides villas accrochées à la colline du Pausilippe d’où l’on découvre l’une des vues les plus célèbres sur Naples. C’est cette similitude que Guiaud et Trachel veulent ici montrer.


    94 André Gastaud, fils de vermicelliers niçois, profita de l’occupation française de 1792 pour devenir un haut responsable politique et racheter à bas prix en 1795 vingt-trois hectares de terres au-dessus de Sainte-Hélène. Après sa mort en 1821, son frère aîné Honoré en hérita. Puis, la propriété passa à son petit-fils, également appelé Honoré Gastaud, en 1847. C’est lui qui fit aménager l’immense jardin paysager et dénomma Barla la propriété. Avec tous ses biens, elle fut mise aux enchères après la faillite de Gastaud en 1869. Une grande partie fut rachetée en 1871 par Ernest Gambart, homme d’affaires belge naturalisé britannique, marchand d’oeuvres d’art et consul d’Espagne à Nice qui transforma l’ancienne demeure Gastaud pour en faire le Palais de Marbre. Voir Didier Gayraud, Belles demeures en Riviera..., ouvrage cité, p. 124-126.

    95 Du nom du vallon coulant à proximité et dont on trouve encore l’appellation dans l’actuel chemin du vallon Barla. Pour désigner ce domaine, on parlait plutôt de la villa Gastaud.

    96 Ce quartier sera complètement chamboulé avec les travaux de la ligne de chemin de fer en 1862- 1864, nécessitant de nombreuses expropriations dont la partie sud de la propriété Gastaud. Mais il restera attractif, des peintres célèbres comme Rosa Bonheur et Félix Ziem y installeront leurs ateliers.

    97 L’origine étymologique est identique à celle du belvédère.

    98 Hubert Clerget en a fait une lithographie, voir La route de Gênes..., ouvrage cité, p. 207.

    99 L’aquarelle ne porte aucune indication prouvant la représentation de cette visite historique. E. Fricero dans « Les Russes à Nice au siècle dernier », Nice Historique, 1953.

    100 Renato Ruotolo, La Scuola di Posillipo. Napoli, Franco Di Mauro, 2002, 160 p.


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