La ville à la campagne, la campagne dans la ville,
l’album aquarellé de Nice et ses environs.

Par Jean-Paul POTRON
Conservateur de la bibliothèque Victor de Cessole, Nice
Rédacteur en chef de la revue Nice Historique.

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  • Le port de Nice.

    Le port de Nice.

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud.
    H 13 x L 20 cm.
    Extraite de l’Album aquarellé de Nice et ses environs.
    Nice, collection particulière.
    Photo © Michel Graniou/Acadèmia Nissarda.
  • Le port de Nice.2

    Le port de Nice.

    Plume et encre brune sur papier
    par Jacques Guiaud.
    Collection particulière.
  • Le port de Nice.3

    Le port de Nice.

    Technique mixte, crayon et craie blanche
    par Jacques Guiaud, H 14,5 x L 17,3 cm.
    Nice, musée Masséna, n°inv. MAH-1208-27.
    Repr. © J.-P. Potron/Ville de Nice
  • Carnet des artistes, fac-similé de croquis des artistes contemporains par Jules Gaildrau.

    Carnet des artistes, fac-similé de croquis des artistes contemporains par Jules Gaildrau.

    Paris, L’Echo de la Sorbonne, 1872, 4e vol, oblong, 28 cm.
    Collection particulière.

    Le port de Nice

    Il eût été facile pour le peintre de se placer sur la jetée afin de dessiner le port Lympia dans son ensemble au ras des flots110 ou bien de monter sur la colline du Château pour en proposer une vue plongeante111. De telles images, Jacques Guiaud les a réalisées, mais il ne les a pas retenues pour cet album. Non, il a préféré en donner une version inhabituelle. Toujours soucieux de proposer des premiers plans qui soient à la fois originaux vis-à-vis de ses collègues paysagistes et adéquats par rapport au lieu d’où est dépeinte la vue, l’artiste s’est placé en contrebas du boulevard de l’Impératrice de Russie (Franck-Pilatte actuellement), sur le côté du canal des Moulins qui alimente en eau plusieurs fabriques et minoteries du quartier du port comme l’illustre la roue hydraulique sur le côté gauche112.

    L’échappée entre deux bâtiments est le corrélat urbain de l’échappée entre deux rideaux d’arbres dans la nature. Mais ici, non seulement le peintre choisit deux constructions modestes d’un quartier populaire, mais en plus la vue proposée des plus réduites sur le port n’offre pas vraiment d’élément pittoresque comme auraient pu l’être l’ancien bagne, le bassin de carénage, le môle intérieur avec sa fontaine ou encore les lavandières au travail au bord du canal des Moulins. De l’autre côté du bassin, c’est à peine si l’on devine la masse rocheuse du Boucin de Sanson entre les vergues du mât et, à droite, la statue du roi Charles-Félix. La jetée, la colline du Château, les navires et les immeubles de la rue de Foresta ne sont pour ainsi dire que des éléments lointains de décor. Le panorama est volontairement réduit et suggéré pour nous renvoyer à ce premier plan innovant qui occupe les deux tiers de l’oeuvre.

    Jacques Guiaud est attiré par l’architecture vernaculaire, il adore représenter les constructions populaires, celles des paysans, pêcheurs, ouvriers qui répondent à des besoins successifs, qui sont conditionnées par la disponibilité de matériaux souvent disparates et récupérés sur place. Certes, l’apprentissage pictural auprès de maîtres qui ont fait le voyage italien, les relevés effectués pour l’édition des Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France commandés par le baron Taylor ont habitué le peintre à représenter les habitats traditionnels. Mais Guiaud parcourt le pays niçois dont il dépeint les fermes pour son propre compte dans de nombreux dessins et aquarelles. Cette « architecture des gens »113 où se concentrent des techniques et des savoirs anciens, cette intégration des maisons dans le paysage, cette harmonie entre la nature et les réalisations humaines, c’est cela qui intéresse le peintre paysagiste, tout autant que le monument édilitaire, oeuvre unique et voyante du génie de l’homme.

    En outre, le choix de montrer l’accumulation, le désordre, l’usure qui caractérisent de tels sites populaires et constructions utilitaires dénote une tournure d’esprit moderne, il marque la volonté de s’affranchir du bien construit et du beau conventionnel au profit de la réalité de la vie quotidienne. Dans de telles vues, Jacques Guiaud se rapproche du mouvement réaliste français issu de 1848. Aussi n’est-il pas surprenant de retrouver un dessin correspondant à cette aquarelle en couverture du quatrième Carnet des artistes publié en 1872 par le peintre Jules Gaildrau114.


    110 Il en existe une esquisse aquarellée, L 18 x 28 cm. Nice, musée Masséna, n° inv. MAH-1173.

    111 Voir supra p. 189.

    112 Clément Roassal avait choisi le même angle, mais près du bassin afin de bien représenter l’avant-port, Vues de Nice et de ses environs... ouvrage cité, p. 81.

    113 Par opposition à l’architecture pour les gens, l’architecture d’architecte. Voir Paul Oliver (dir.), Encyclopedia of vernacular architecture of the world, introduction. Cambridge University Press, 1997.

    114 1816-1898.


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