La ville à la campagne, la campagne dans la ville,
l’album aquarellé de Nice et ses environs.

Par Jean-Paul POTRON
Conservateur de la bibliothèque Victor de Cessole, Nice
Rédacteur en chef de la revue Nice Historique.

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  • Pont du Var.

    Pont du Var.

    Gravure de Fr.-L. Couché et Desaulx
    d’après un dessin d’édouard Hostein.
    H 10,5 x L 16 cm,
    extraite de La France militaire, 1833, h.t. p. 142.
    Paris, Bibliothèque nationale de France.
  • Le village de Saint-Laurent et le pont du Var.

    Le village de Saint-Laurent et le pont du Var.

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud.
    H 12,5 x L 20,5 cm.
    Extraite de l’Album aquarellé de Nice et ses environs.
    Nice, collection particulière.
    Photo © Michel Graniou/Acadèmia Nissarda.
  • Le village de Saint-Laurent sur le Var.

    Le village de Saint-Laurent sur le Var.

    Crayon sur papier de Jacques Guiaud, H 11,8 x L 17,6 cm. Nice, musée Masséna, n° inv. MAH-1208-30. Repr. © J.-P. Potron/Ville de Nice.

    Le village de Saint-Laurent et le pont du Var

    Rare exemple d’aquarelle de cet album offrant un premier plan ouvert que ce pont du Var où toute occupation humaine est absente. Aucun pêcheur, flotteur ou passeur n’est en vue. Seules les tas de troncs débités à droite et les boqueteaux de la rive escarpée à gauche viennent délimiter les bords du fleuve suggéré par le blanc du papier en réserve à peine rehaussé de quelques traits nerveux. De même, son lit de graviers et de terres est suggéré par un lavis de bruns précisé par un jeu savant de touches frottées à sec sur le grain de la feuille pour donner du relief.

    Nous sommes à la frontière entre le royaume de Piémont-Sardaigne et l’État français. Pendant des siècles, le fleuve Var a marqué la limite entre ces deux pays souvent en guerre, la France n’ayant jamais reconnu la « dédition » de Nice à la maison de Savoie en 1388103. Plusieurs fois, Nice fut envahie par des troupes passées par la vallée du Var. La dernière en date avait été le 29 septembre 1792 lorsque le général d’Anselme à la tête de l’armée du Midi traversa le fleuve pour s’emparer de Nice au nom de la première République française.

    Jusque-là, on franchissait le fleuve à gué. Des passeurs faisaient traverser le cours d’eau aux voyageurs104, ce qui n’était pas toujours aisé. L’essentiel du mouvement des marchandises se faisait, lui, par voie maritime. Quant aux tentatives de construction d’un pont en bois, elles se soldèrent par des échecs répétés jusqu’à l’arrivée des troupes révolutionnaires françaises en 1792. Les militaires réquisitionnèrent la population environnante pour couper les arbres à proximité et lancer le premier pont viable105. Long d’environ 600 m, le pont comportait 182 travées de 4 à 6 m de portée. Son plancher de 4 m 80 de large s’élevant à 2 m 80 au-dessus de l’étiage était posé sur des chevalets formés de trois à cinq pilotis couronnés d’un sommier. Ce pont provisoire fut plusieurs fois endommagé par les fortes crues du fleuve. Constamment réparé et consolidé il resta en usage jusqu’en 1864 lorsque la compagnie de chemin de fer du Paris-Lyon-Marseille ouvrit le pont en pierre et en fonte destiné au passage du train et des véhicules106.

    Il fallait donc que Jacques Guiaud laissât libre le premier plan à plusieurs titres : représenter la zone frontalière, ménager le plus possible de visibilité au pont et ne pas alourdir un paysage déjà largement dominé par la chaîne des baous. Il a choisi de se placer du côté français et de montrer le village de Saint-Laurent agglutiné autour de son église. Le pont y débouche directement et le poste de douane français se trouve à l’entrée du bourg. C’est le point de vue diffusé par la gravure parue dans La France militaire en 1833107 et que l’on retrouve sous les pinceaux du chevalier Barberi, de Joseph Fricero, Jean Antoine Lucas ou encore d’Hercule Trachel108. D’autres, comme Roassal et Louvois, ont préféré la rive niçoise plus ombreuse grâce à la présence du bois du Var. Beaucoup ont voulu animer leur vue par la représentation d’attelages traversant le pont et de la guérite du poste de frontière sarde. On la devine contre le bord droit de l’aquarelle de Guiaud, quelques taches signalent une présence sur le pont. Mais l’intention du peintre semble plutôt ici de montrer la fragilité, l’insignifiance de cet ouvrage d’art face à la puissance de la nature, à la grandeur des chaînes montagneuses. Il n’hésite pas à exagérer les proportions de ces dernières109 afin d’éveiller le sentiment romantique chez le spectateur.


    103 Comme on le voit sur la gravure aquarellée no 7 d’Albanis Beaumont extraite du Voyage historique et pittoresque du Comté de Nice, Bardin, Genève, 1787.

    104 Sur le pont du Var voir Jean-Bernard Lacroix, « Les ponts des Alpes-Maritimes du Moyen Âge au XXe siècle », Nice Historique, 2005 no 4, p. 231-234.

    105 Idem, p. 252-253.

    106 France militaire : histoire des armées françaises de terre et de mer de 1792 à 1833. Ouvrage réd. par une Société de militaires et de gens de lettres,... ; rev. et publ. par Abel Hugo,... Paris, Delloye, 1833, hors texte p. 142.

    107 Voir Le pays de Nice et ses peintres au XIXe siècle, ouvrage cité, p. 228-229.

    108 La Vue du pont du var par Jean-Antoine Lucas, prise du même endroit est explicite à cet égard.

    109 J. Guiaud est l’auteur d’une originale lithographie romantique et nocturne du port de Nice de ce point de vue, publiée dans Nice pittoresque, Paris, Lemercier, 1857.


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