La ville à la campagne, la campagne dans la ville,
l’album aquarellé de Nice et ses environs.

Par Jean-Paul POTRON
Conservateur de la bibliothèque Victor de Cessole, Nice
Rédacteur en chef de la revue Nice Historique.

CHOISISSEZ UN CHAPITRE
  • Vue de Cimiez et de Saint-Pons depuis la vallée du Paillon.

    Vue de Cimiez et de Saint-Pons depuis la vallée du Paillon.

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud. H 12,5 x L 20,4 cm. Extraite de l’Album aquarellé de Nice et ses environs. Nice, collection particulière. Photo © Michel Graniou/Acadèmia Nissarda.
  • Route de Turin.

    Route de Turin.

    Anonyme, 7 février 1853.
    Technique mixte, encre, aquarelle et gouache.
    H 28 x L 35 cm, titrée et datée sur le support.
    Collection particulière.
    Photo © J.-L. Martinetti/Acadèmia Nissarda.
  • Cimiès et St. Pons.

    Cimiès et St. Pons.

    Dessin et lithographie de Jacques Guiaud.
    Extrait de Nice, vues et costumes.
    Delbecchi, Nice, 1861, 13,7 x L 20,5 cm.
    Collection particulière.
    Photo © Michel Graniou/Acadèmia Nissarda

    Vue de Cimiez et de Saint-Pons depuis la vallée du Paillon

    Nous quittons à présent la colline du Château et descendons dans la vallée du Paillon pour une vue rapprochée de l’abbaye bénédictine de Saint-Pons dominée à gauche par le monastère franciscain de Cimiez. C’est un sujet fréquemment choisi par les peintres et les dessinateurs. Afin de resserrer la vue sur les deux édifices, ils se placent généralement sur la rive droite, celle de la route de Levens. Pour la lithographie qu’il insère dans l’album Nice, vues et costumes123, Jacques Guiaud lui-même choisit le point de vue classique. Ici, en revanche, l’artiste change de berge au profit de la route de Turin ; il rapproche l’ensemble collinaire et accentue la hauteur des montagnes afin de resserrer la scène et d’amplifier l’affect du spectateur.

    Cet écart lui permet d’ouvrir, de manière plus originale, la perspective sur la gauche jusqu’au mont Chauve et à la principale usine à vapeur de Nice située sur la route de Levens dont le panache de fumée blanche signale l’activité. Le peintre peut surtout organiser les volumes des montagnes sur les diagonales des crêtes et sur celles des pentes de Cimiez pour venir les faire buter, à droite, sur les puissantes verticales des hautes futaies bordant la rive. Leurs troncs et feuillages sombres font écho aux masses moutonnantes de la végétation des quartiers actuels de l’Arbre inférieur et de Pasteur. Une fois encore, les jeux de touches colorées alternant les mauves et violets pour les ombres aux bruns et verts pour les parties éclairées, permettent d’animer la partie centrale de l’aquarelle.

    L’heure matinale permet aussi d’allonger les ombres, non seulement au sein des massifs montagneux, mais encore sur la route et le Paillon qui occupent tout le premier plan. Car le torrent à sec ne peut jouer le rôle habituel de miroir d’eau dont usent les peintres pour donner vie et profondeur à la composition. Guiaud accentue l’aridité du site par l’emploi d’une palette réduite à des beiges et jaunes très dilués et distribués en longs aplats. Plus que dans les ciels, c’est dans l’espace du fleuve que se concentre la luminosité forte, aveuglante, du Midi méditerranéen. Cette option autorise le nivellement d’un lieu chaotique dans la réalité, encombré qu’il est de galets, blocs et îlots de terre. Le recours à des lignes tendues pour rendre la digue qui supporte la route de Levens et à des zébrures pour traduire les maigres filets d’eau, dynamisent le lit du fleuve côtier.

    Le Paillon est le théâtre d’une activité quotidienne et traditionnelle du pays niçois : le travail du chanvre. Nice étant dépourvue de filerie, le cordage, qui nécessite de grands espaces, se faisait en extérieur. Les bords du Var, mais plus encore ceux du Paillon, proche des champs et des bassins de rouissage du vallon de Laghet, étaient utilisés. L’aquarelle montre un des deux cordiers actionnant le dévidoir sur lequel sont stockés les fils pendant que l’autre, à distance, s’emploie à les séparer, à vérifier leur taille et leur tension sur le chevalet, un grand râteau en bois planté dans le sol. Cette opération, dénommée ourdissage, suit celle du filage au rouet dont un exemplaire de grande taille est également présent, fixé au sol. On peut aussi remarquer le gros crochet servant à tordre le fil au fur et à mesure du filage.

    Le souci de réalisme dont fait preuve Guiaud rend également le premier plan fort intéressant sur le plan documentaire. Les gros blocs équarris rappellent que nombre de tailleurs de pierre travaillaient également sur les bords ou dans le lit du Paillon. Les carrières voisines, les gravières du fleuve, l’espace libre et la proximité avec la ville en faisaient un site adéquat. Quant aux charretons stationnés à côté, ils étaient alors omniprésents dans le paysage niçois, aussi bien pour alimenter les marchés de la vieille ville que pour coltiner les matériaux de construction et assurer les livraisons. Sur toute la longueur du Paillon depuis le quartier de la Bourgada, site de l’actuel lycée Masséna, les remises succédaient aux écuries et les charrettes encombraient les rives.

    Une aquarelle anonyme datée du 7 février 1853 et effectuée depuis le même point de vue pourrait bien être la version d’un élève de Guiaud esquissée, sinon entièrement réalisée, sur le motif. Elle nous permet de juger la distance qui sépare un amateur d’un maître aguerri. La mise en place plus élargie du panorama collinaire, la palette plus réduite, composée surtout des tons académiques de bruns et d’ocres moins vif, délivrent certes une oeuvre parfois plus juste dans les proportions, les détails et les tons d’hiver, mais autrement moins rythmée, impressionnante et persuasive.


    123 Nice, vues et costumes, Delbecchi, Nice, 1861. Suite de dix paysages dessinés et lithographiés par Jacques Guiaud et six costumes dessinés et lithographiés par Joseph Felon. Voir Voyage pittoresque dans le Comté de Nice…, ouvrage cité, p. 340-341.


    TOUTE REPRODUCTION TOTALE OU PARTIELLE EST INTERDITE.

    Les articles et illustrations de l'ouvrage sont protégés par copyright. Les œuvres représentées sont autorisées uniquement pour l'ouvrage et le présent site internet. Pour toutes questions contacter l'Acadèmia Nissarda.