Par Jean-Paul POTRON
Conservateur de la bibliothèque Victor de Cessole, Nice
Rédacteur en chef de la revue Nice Historique.
Vue incontournable du voyage à Nice, la perspective que l’on découvre sur la ville et la mer jusqu’à l’Estérel depuis la Grande corniche est l’un des paysages le plus souvent représenté, aussi bien par les professionnels que par les peintres amateurs153. Non seulement, elle est l’un des panoramas plongeants sur Nice très appréciés depuis son axe nord, mais elle appartient au périple de la Rivière de Gênes, l’actuelle Riviera allant de Nice à Gênes. Aussi, les peintres de l’Ancien Régime qui empruntaient parfois cet itinéraire pour se rendre en Italie pour leur Grand Tour en ont laissé des vues saisissantes154. Route utilisée par l’Armée d’Italie, la Grande corniche a été considérablement viabilisée sous le Premier Empire et, une fois la paix revenue avec la Restauration, elle est beaucoup plus empruntée, malgré son étroitesse et les précipices qui la bordent. La suivre « c’est voyager sur la tablette de votre cheminée », ainsi Stendhal traduit-il spirituellement le trouble éprouvé par maints voyageurs155. Les artistes ont suivi le mouvement : la route de la Corniche est devenue un voyage pictural et romantique à la mode, largement diffusé par les albums à gravures156.
La vue sur Nice est le premier spectacle - réconfortant - que l’on découvre de la capitale du comté et des plaines vers la France après le périple vertigineux le long de la corniche ou bien la dernière que l’on garde - en sens inverse - avant de basculer dans le monde sauvage des Alpes maritimes. La fin de la journée approche, les ombres s’allongent. Une douce lumière mordorée recouvre le paysage. La cité à contre-jour est silhouettée dans un mauve pâle. C’est avec une grande délicatesse que Jacques Guiaud transpose l’atmosphère lumineuse et les détails topographiques dans cette aquarelle. On reconnaît à droite de la colline du Château, la tour Saint-François, le dôme de Sainte-Réparate, puis la tour de l’Horloge. Plus près, en avant de la rayure claire formée par le Paillon, s’étendent les plaines agricoles de Roquebillière et de Saint- Roch rendues par un camaïeu de verts chauds et froids qui suggèrent l’alternance des oliveraies, des plantations d’agrumes et des cultures maraîchères. De cette étendue de verdure dépasse le seul bâtiment d’importance, l’église Saint-Roch.
Jacques Guiaud s’est installé en haut de la longue ligne droite, avant la série de virages menant à la chapelle Saint-Charles. Un vallon d’écoulement des eaux passe sous la route, signalé par les deux parapets. L’endroit est idéal pour placer les deux personnages et l’âne, typiques du pays niçois, chargés de donner l’échelle et d’animer quelque peu la scène. Simples silhouettes, ils n’attirent pas l’attention, comme si le peintre les avait mis là « pour mémoire ». La végétation plus dense et colorée à cet endroit est propice à la mise en place du premier plan. Ajustée dans la courbe de la route et à la rupture de la pente, elle se trouve dans l’axe de l’image qu’elle articule. En masquant la forêt de pins et d’oliviers qui dégringole des pentes du mont Gros, en cachant la suite de la route et les confins de la plaine, en obturant même la vue sur le port Lympia, ce simple bosquet d’arbustes relie les différentes sections de l’image et nous invite à imaginer les parties manquantes.
153 François Fleury, Paul Huet, Adolphe-Étienne Viollet-le-Duc, Gonsalvo Carelli, Jules Defer, Hercule Trachel, François Bensa...Voir Le Pays de Nice et ses peintres..., ouvrage cité, p. 264-265.
154 Jean-Paul Potron, « Entre les Alpes et l’Italie, l’étape niçoise des peintres britanniques, du siècle des Lumières à la Restauration », Nice Historique, 2014 nos 3-4, p. 130-177.
155 Lettre 1050 à A.M. Di Fiore, Rome le 20 janvier 1833, Correspondance, vol. 8, publ. par Henri Martineau. Paris, Le Divan, 1934.
156 Domenico Astengo, Giulio Fiaschini, La route de Gênes. La Riviera da Nizza a Genova nelle stampe romantiche francesi (1814-1864). Milano, Silvana editoriale, 2004.
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