La ville à la campagne, la campagne dans la ville,
l’album aquarellé de Nice et ses environs.

Par Jean-Paul POTRON
Conservateur de la bibliothèque Victor de Cessole, Nice
Rédacteur en chef de la revue Nice Historique.

CHOISISSEZ UN CHAPITRE
  • Vieux Nice, la rue Sainte-Réparate.

    Vieux Nice, la rue Sainte-Réparate.

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud.
    H 20,3 x L 13 cm.
    Extraite de l’Album aquarellé de Nice et ses environs.
    Nice, collection particulière.
    Repr. © Michel Graniou/Acadèmia Nissarda.
  • Vieux Nice, la rue Sainte-Réparate.

    Vieux Nice, la rue Sainte-Réparate.

    Crayon sur papier de Jacques Guiaud.
    H 22,8 x L 13,8 cm, localisé b. dr.
    Nice, musée Masséna, n° inv. MAH-1208-28.
    Repr. © J.-P. Potron/Ville de Nice.

    Vieux Nice, la rue Sainte-Réparate

    Enfin ! Un artiste s’est risqué à entrer dans la vieille ville et à la représenter ! Même les plus grands des paysagistes niçois l’ont rarement fait. En dehors du cours Saleya et des places où l’on a plus de recul et de lumière, aucun d’entre eux n’a dépeint sa ville… Certes, les artistes cherchaient d’abord des points de vue susceptibles de plaire aux voyageurs étrangers qui ne mettaient pas les pieds à l’intérieur du « babazouk » niçois. Et lorsqu’Emmanuel Costa, l’un des plus virtuoses aquarellistes locaux, l’intègre à ses sujets, c’est que sa clientèle de la fin du XIXe siècle commence à trouver pittoresque l’immersion dans les lieux populaires de la vie niçoise45. Guiaud, pour sa part, en a vu d’autres à Rome, Venise ou Malaga. En outre, lors de leurs voyages, ses maîtres à dessiner, les Bonington, Girtin, Huet, Dupré et autres Carelli n’ont pas hésité à s’engager dans les ruelles populeuses, étroites, n’offrant que peu de lumière et de recul.

    Avec cette vue de la rue Sainte-Réparate commence une suite de quatre aquarelles sur le vieux Nice qui tranchent avec la série précédente, par leur format portrait, leur plan rapproché, leur contraste plus marqué, leur plongée in media res46.

    Installé à l’angle des rues du Gouvernement (de la Préfecture) et de Sainte-Réparate, Jacques Guiaud réussit une extraordinaire mise en scène d’un instantané de la vie du peuple niçois. Son cadrage d’abord, vertical et déjà très photographique, permet d’intégrer les maisons du pas de porte jusqu’au toit. L’heure ensuite, une fin de matinée bien ensoleillée, illumine le clocher de la cathédrale Sainte-Réparate dont on devine le profil du fronton en façade et, contigu, le siège de l’évêché. Sujet central et premier de la composition, l’édifice religieux se détache sur un ciel céruléen à peine mis en mouvement par quelques nuages blancs, une formule dont Costa fera sa signature quarante ans plus tard.

    La blancheur et la richesse monumentale de la cathédrale s’opposent, bien sûr, aux façades défraîchies et rapiécées des maisons populaires. Mais, grâce au raccourci de l’enfilade, Guiaud ne force pas le trait et n’accumule pas les taches de couleurs. Un cordon de pierre oublié, quelques crochets, signalent qu’ici l’utilitaire prime l’esthétique. Le travail fatigue les êtres, les objets et les bâtiments. Le peintre s’attarde sur les façades usées qui accrochent mieux la lumière et les volets à persiennes, plus ou moins ouverts, qui les animent.

    L’animation, voilà le véritable sujet de l’aquarelle. Il y a foule sur la place Rossetti, devant Sainte-Réparate et ses alentours : c’est là que se tient au quotidien l’un des principaux marchés de la ville. Pour protéger les produits, les vendeurs et la clientèle du soleil et des intempéries, des velums sont tendus d’une façade à l’autre. L’artiste s’en sert d’obturateurs pour délimiter des zones d’ombres entre les trouées de lumière et mettre ainsi en exergue plusieurs femmes de retour du marché. L’une d’entre elles, une portairis, tient sur la tête un grand panier rempli de victuailles qu’elle porte chez son commissionnaire. D’autres attendent leur tour près de l’étal d’une échoppe donnant sur la rue. Deux autres s’entretiennent devant la boutique du marchand de chapeaux alors qu’un homme regarde la devanture en quête d’un nouveau couvre-chef. En face, des planches dressées contre le mur attendent preneur.

    Chez Jacques Guiaud, le souci de réalisme va de pair avec les préoccupations esthétiques. Le magasin d’angle du chapelier François Massa, si pittoresque avec sa vitrine remplie de chapeaux et son enseigne en forme de galurin, a bel et bien existé47. Chaque détail dessiné in situ sur le carnet de croquis est scrupuleusement reporté sur l’aquarelle, à l’exception de quelques personnages rajoutés, comme la porteuse qui attire le regard par ses vêtements colorés et sa position centrale dans la rue illuminée à cet endroit.


    45 Il faut attendre la génération suivante pour que Henri-Joseph Harpignies laisse une vue identique à celle de Jacques Guiaud, voir Vues de France. Tableaux et aquarelles topographiques. Catalogue de ventes Christie’s, Paris, 7 novembre 2006, p. 46 n°109, « L’église Saint- Jacques [sic] dans le vieux Nice », aquarelle, H 280 x L 200 mm.

    46 Du latin signifiant littéralement « au milieu des choses ». Procédé littéraire emprunté à Horace (Art poétique, 148) qui consiste à placer immédiatement le lecteur ou le spectateur au milieu d’une action.

    47 François Massa, fabricant de chapeaux de paille, tenait un magasin maison Bandinelli au 14 rue du Gouvernement. Office central des étrangers, Guide des étrangers à Nice, 1858- 1859, Imprimerie Canis, Nice, 1858, p. 28.


    TOUTE REPRODUCTION TOTALE OU PARTIELLE EST INTERDITE.

    Les articles et illustrations de l'ouvrage sont protégés par copyright. Les œuvres représentées sont autorisées uniquement pour l'ouvrage et le présent site internet. Pour toutes questions contacter l'Acadèmia Nissarda.