Par Jean-Paul POTRON
Conservateur de la bibliothèque Victor de Cessole, Nice
Rédacteur en chef de la revue Nice Historique.
Pendant de la précédente, cette vue du quai du Midi (actuel quai des États-Unis) exprime, une fois de plus, le talent de Guiaud pour figurer les architectures et évoquer les atmosphères. Lorsqu’il peint ce front de mer, cela ne fait qu’une vingtaine d’années que les immeubles y ont été bâtis et une dizaine que cette partie du littoral a été aménagée. En 1830, il n’y avait là que friches et marécages dans ce lieu que les Niçois dénommaient le « Pré aux oies ». Seuls, s’élevaient l’immeuble des Bains polythermes et le Théâtre royal (l’Opéra actuel) dont on distingue ici le toit pentu recouvert de tuiles rouges et le fronton en façade à l’extrémité des bâtiments alignés. Une quinzaine d’entre eux furent édifiés entre 1832 et 1834 par de riches notables niçois comme les négociants Gilly, Gauthier et Girard, les comtes d’Ongran et de Nieubourg.
La ville projeta alors une strada di circonvallazione pour relier le quai des Phocéens aux Ponchettes. Entre 1840 et 1843, elle fit édifier un quai de 350 mètres de long allant de l’embouchure du Paillon au Théâtre royal. Ce quai du Midi offrait une largeur de huit mètres de voie, deux caniveaux d’un mètre, deux trottoirs empierrés de deux mètres et un parapet. Afin d’en faire la promenade élégante du rivage, la municipalité y disposa des bancs de pierres, une fontaine monumentale et deux balcons semi-circulaires. Le quai du Midi tint effectivement ce rôle pendant une vingtaine d’années avant de subir la concurrence de la promenade des Anglais de l’autre côté du Paillon, puis d’en devenir le prolongement lorsque le pont Napoléon reliant les deux rives du Paillon fut ouvert à la circulation le jour de Noël 186466.
Entre le quai aménagé et les maisons donnant sur la rue Saint-François- de-Paule, restaient des espaces libres. Face aux récriminations des propriétaires refusant de perdre la vue sur la mer, la municipalité leur céda les terrains, à charge pour eux de réaliser des constructions obéissant aux règlements du Consiglio d’Ornato67. Côté du Midi, une riche rangée d’immeubles s’alignaient face à la mer en façade sud, au nord, ils ouvraient sur la rue Saint-François-de-Paule où se trouvaient les hôtels Paradis et du Midi, le cercle du Commerce, etc.
À l’angle du quai du Midi et du quai des Phocéens longeant le Paillon, un belvédère fut également bâti lors des travaux d’aménagement. Les promeneurs ne manquaient pas de s’y arrêter pour jouir de la vue panoramique sur la baie et nombre de dessinateurs d’en laisser un souvenir sur leur carnet de croquis. Les plus habiles furent sollicités pour que leurs originaux soient diffusés par des lithographies dont Jacques Guiaud et Hercule Trachel avec deux vues similaires.
Pour le premier plan, qui se prolonge en diagonale sur toute la hauteur gauche de l’aquarelle, c’est le peintre d’architectures qui s’exprime avec maîtrise et rigueur, alors que le reste du paysage - la plage en contrebas, la mer, les Ponchettes, la colline du Château et le cap de Nice - n’est qu’esquissé. C’est le milieu de la journée, si l’on en croit les ombres portées des personnages. Le plein soleil illumine les façades des immeubles et blanchit la voie cavalière du quai, alors que la plage en contrebas et les lointains des collines se trouvent plongés dans une ombre douce, oscillant d’un mauve léger au rose pâle. On devine deux cabines de bains sur la plage, témoins d’une activité balnéaire balbutiante et, plus loin, les pointus hâlés sur la grève des Ponchettes.
Pour les villégiateurs, c’est l’heure de la sortie en fin de matinée. Pendant que deux cavaliers sont lancés au galop, des groupes conversent tout en se chauffant au soleil, d’autres se promènent, des enfants jouent, un couple contemple le paysage, autant d’activités familières pour les étrangers venant passer les mois d’hiver à Nice.
66 Lorsque les Ponchettes et Rauba-Capeù furent aménagées, le quai du Midi fut fréquenté par les étrangers se promenant jusqu’au port et surtout par les Niçois pour qui la Riba dou Miejour resta le prolongement maritime de la Vieille Ville. Près d’un siècle plus tard, il fut agrandi de quinze mètres en 1930-1932, grâce à un perré gagné sur la plage. Pour assurer la continuité esthétique avec la promenade des Anglais, elle aussi récemment réaménagée, il fut divisé en double voie avec un parterre central fleuri.
67 Éd. Scoffier, F. Bianchi, ouvrage cité, p. 59.
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