La ville à la campagne, la campagne dans la ville,
l’album aquarellé de Nice et ses environs.

Par Jean-Paul POTRON
Conservateur de la bibliothèque Victor de Cessole, Nice
Rédacteur en chef de la revue Nice Historique.

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  • Vieux Nice, place Saint-François, le marché et l’hôtel de ville.

    Vieux Nice, place Saint-François, le marché et l’hôtel de ville.

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud.
    H 20,8 x L 13 cm.
    Extraite de l’Album aquarellé de Nice et ses environs.
    Nice, collection particulière.
    Repr. © Michel Graniou/Acadèmia Nissarda.

    Vieux Nice, place Saint-François le marché et l’hôtel de ville

    Au pouvoir religieux de l’évêque en sa cathédrale succède le pouvoir civil du syndic dans le palais communal49. Bien que la place Saint-François soit l’une des plus grandes places de Nice, Jacques Guiaud opte pour un plan rapproché du principal immeuble de l’endroit, l’ancien hôtel de ville, flanqué à l’arrière-plan par la tour Saint-François. Sur la gauche, le bâtiment de l’Aigle d’or n’est qu’amorcé, on en devine quelques lettres de l’enseigne peinte sur la façade. Jusque dans les années 1830, la plupart des voyageurs de passage s’arrêtaient dans cet hôtel, notamment les artistes sur la route du Grand Tour. Au-devant, stationnaient les courriera (diligences) de la ligne Nice-Cuneo. Les paysans et négociants du haut-pays et du Piémont y descendaient lorsqu’ils venaient à Nice pour vendre leurs denrées. La place était très animée et pittoresque, elle résonnait du bruit des chaudronniers et du fondeur de cloches Rosina qui y tenaient leurs ateliers50. Mais le peintre a préféré resserrer le cadre, peut-être pour varier le format et l’angle de ses paysages urbains, sans doute aussi parce que la place Saint- François n’est jamais bien ensoleillée du fait des maisons qui l’entourent, comme l’indique bien l’aquarelle à moitié plongée dans l’ombre.

    Élargie au début du XIXe siècle sur l’emplacement de l’ancien couvent des Franciscains largement détruit pendant la Révolution51, la place Saint-François était l’un des rares espaces communautaires de la vieille ville. Ses fonctions étaient commerciales, sociales et politiques. Au XVIe siècle, le palais communal y fut édifié. Il abrita la mairie jusqu’en 186852, avant qu’elle ne partît avec le poste d’infanterie attenant pour le quartier Saint-François-de-Paule.

    C’est à sa fonction de ville-marché que le Vieux-Nice a dû sa longue prospérité. Un va-et-vient continu de porteuses, portefaix et charretons sillonnait les ruelles. Tout le quartier vivait aux rythmes des marchés en plein air53. Celui de la place Saint-François était alors réservé aux grains, fruits et légumes. Les poissons qui y sont proposés aujourd’hui étaient alors vendus à la chappa (la halle) située entre le cours Saleya et les Ponchettes54. Le premier plan est occupé par un étal encombré de ballots en toile écrue. Une balance à plateaux montée sur une colonne est installée sur la table autour de laquelle s’activent clients et détaillants. Une tente également en toile les protège du soleil. Un peu en arrière à gauche, un attelage lourdement chargé et bâché vient de descendre la rampe menant du quai des Bastions pour pénétrer dans le vieux Nice.

    Cette animation contraste avec la masse statique du palais communal. Installé sur l’emplacement actuel de la fontaine des Dauphins55, Jacques Guiaud est parvenu à rendre une perspective particulièrement difficile du fait de l’enchevêtrement des bâtiments, des sols en pente et surtout de la parcelle trapézoïdale sur laquelle le palais est édifié. Avec le palais Lascaris, le palais communal était - et reste - le bâtiment civil de style baroque le plus décoré de la vieille ville intra-muros. Construit entre 1574 et 1581, il fut plusieurs fois agrandi et remanié. Sa façade fut revue aux alentours de 1760 afin de lui conférer un aspect monumental proche des palais turinois56 : soubassement en bossage de pierres, portail ouvragé en marbre, pilastres surmontés de chapiteaux ioniques, chambranles moulurés, corniche à modénature complexe, balustrade en toiture, etc. Ses enduits ocre jaune et terre de Sienne ne sont visibles qu’en partie ombrée, le reste de la façade étant inondé par la lumière du soleil de midi.

    La plupart des volets à persiennes sont fermés57, signe que le conseil n’est pas réuni. Au-dessus de la lucarne sommitale dont l’oculus devait contenir une horloge se trouve la cloche destinée à sonner les réunions de la municipalité. Elle fait « écho » à la grande cloche surmontée de son abat-son installée sur la tour Saint-François en 184058.

    Le site n’étant pas aisé à représenter, peu d’artistes s’y sont essayés au cours du XIXe siècle. La maîtrise de J. Guiaud aussi bien pour rendre le paysage urbain que pour traduire la vie locale et exprimer l’impression lumineuse est ici, une fois encore, remarquable. D’autres vues marquantes, plus connues, datent du siècle suivant et sont signées Charles Martin-Sauvaigo59 et Raoul Dufy60.


    49 Équivalent sarde du maire et de l’hôtel de ville.

    50 Clément Roassal, Vues de Nice et de ses environs, ouvrage cité, p. 46-47 et Voyage pittoresque dans le Comté de Nice..., ouvrage cité, p. 232.

    51 Une Croix séraphique en marbre de 1477 se trouvait dans le monastère des Franciscains. En 1804, ce calvaire fut installé sur la place du Monastère de Cimiez, voir infra p. 277.

    52 Le bâtiment accueillit la Bourse du travail en 1893 et la place Saint-François devint un des pôles de la vie syndicale niçoise.

    53 Leur anachronisme prévalut sur leur côté pittoresque et artisanal dans les années cinquante. Les marchés de gros des fruits, légumes et fleurs furent transférés en 1965 dans les locaux modernes et rationnels du Marché d’intérêt national à Saint- Augustin. La vieille ville perdit alors la majeure partie de son activité commerciale traditionnelle.

    54 Site de l’actuelle galerie de la Marine.

    55 Le groupe fut sculpté par César Chiavacci et la fontaine fut installée en 1938 sur les plans de l’architecte de la ville, François Aragon.

    56 Caroline Challan-Belval, « L’ancien palais communal de Nice », Archeam, n°14, 2007, p. 73-94.

    57 Enlevés lors de la réfection de 1978.

    58 Luc Thevenon, « Cloches et fondeurs de Nice et du Comté », Nice Historique, 2014, p. 63-65.

    59 Voir Jean-Pierre Martin, Charles-Martin- Sauvaigo, un peintre niçois dans son temps. Nice, éditions Serre, 2010.

    60 Voir Paysages de Nice, Villefranche, Beaulieu..., ouvrage cité, p. 185.


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