La ville à la campagne, la campagne dans la ville,
l’album aquarellé de Nice et ses environs.

Par Jean-Paul POTRON
Conservateur de la bibliothèque Victor de Cessole, Nice
Rédacteur en chef de la revue Nice Historique.

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  • Le monastère de Notre-Dame de Laghet.

    Le monastère de Notre-Dame de Laghet.

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud.
    H 12,3 x L 20,4 cm.
    Extraite de l’Album aquarellé de Nice et ses environs.
    Nice, collection particulière.
    Photo © Michel Graniou/Acadèmia Nissarda

    Le monastère Notre-Dame de Laghet

    Par rapport aux vues de Nice et du littoral, les deux aquarelles qui représentent l’intérieur des terres - Laghet et Sospel - sont moins convaincantes. Le monastère Notre-Dame de Laghet peut surprendre, sinon décevoir. Aujourd’hui lové dans un écrin végétal au creux d’un vallon ombreux, il émerge ici dans un site montagneux, aride, sauvage. Le peintre aurait-il voulu privilégier la puissance minérale, l’aspect désertique, propres à ces lieux d’abstraction extrême où la révélation peut surgir ?

    Car Laghet est un des hauts lieux de la foi. Quelques années à peine après la manifestation des premiers miracles survenus dans sa chapelle primitive à la moitié du XVIIe siècle, le sanctuaire fut construit. Le culte de Notre-Dame de Laghet devint aussitôt très populaire et son pèlerinage fut l’un des plus importants du Midi. À la belle saison, le monastère ne désemplissait pas ; pour la Sainte-Trinité, l’afflux de pèlerins était tel que les douaniers n’effectuaient pas de contrôle au pont du Var.

    Cette ferveur est visible dans la petite lithographie de P. E. Barberi, alors que celle de J. Lucas montre classiquement le monastère en façade sud dans son environnement de montagnes arborées depuis le chemin de La Trinité. Chez Guiaud, le couvent prend l’aspect d’un hospice isolé dans les hautes Alpes ; on y cherchera en vain un arbre, un fidèle et même les routes y conduisant. Seuls, quatre Carmes déchaux167 animent conventionnellement le site.

    Le peintre a choisi de se placer sur le côté sud-est afin de représenter l’ensemble des bâtiments en enfilade. On l’a vu mieux réussir ses perspectives. Même si le sanctuaire est bâti sur un rocher étroit rendant impossible une construction harmonieuse et que son succès a imposé des extensions disparates, le rendu général est bancal et les proportions des bâtiments ne sont pas respectées. Ainsi du clocher trop peu élancé, de la façade étriquée du cloître, du pont simpliste et surtout des écuries dont la rotonde est ratée... Pourtant, on reconnaît la patte du peintre dans le traité architectural des façades, dans le fond des montagnes plutôt correctement mis en place avec le long massif de la Caussinière et le contrefort du mont Agel sur la droite. En revanche, les abords du Perdiguier, le torrent qui longe le sanctuaire, n’ont rien de réaliste. Le vallon n’est pas assez encaissé, le replat de terrain sur lequel devisent les deux Carmes n’était pas aussi marqué. Le premier plan proposé est brossé hâtivement sans souci d’exactitude.

    La question se pose : Guiaud est-il allé sur place ou bien a-t-il travaillé d’après un dessin insuffisamment précis et complet ? On sait que le peintre a sillonné le moyen pays et remonté les vallées jusqu’à Tende et Saint-Martin Vésubie dont on connaît des dessins tout à fait conformes à son talent. Bien que le sanctuaire soit facilement accessible en voiture depuis La Turbie le peintre n’a peut-être pas eu le temps de se rendre sur place et a été pris de court par une commande spécifique pour l’album. Delbecchi ou le commanditaire aurait réclamé cette vue supplémentaire à l’artiste qui n’avait pas d’esquisse à sa disposition. Il aurait réalisé alors son aquarelle de mémoire ou bien en déduisant l’angle à partir d’estampes mises sur le marché.

    Les membres de la famille de Savoie étaient particulièrement pieux. Ils firent régulièrement de riches offrandes au sanctuaire et s’y rendirent souvent en pèlerinage. Si l’album a bien été réalisé pour l’un d’entre eux, il était indispensable que le couvent de Laghet y figurât. Rappelons enfin un point d’histoire qui défraya la chronique alors que Guiaud se trouvait à Nice. Vaincu par les armées autrichiennes à la bataille de Novare le 23 mars 1849, Charles-Albert, le roi de Piémont- Sardaigne, abdiqua dans la nuit et partit en exil à Porto. Il s’arrêta en route à Laghet où il assista à une messe et passa la nuit du 25 au 26. Le sanctuaire prit alors une nouvelle dimension, historique, celle-là, marquant longtemps les esprits des Niçois. Probable ajout de dernière minute, le sanctuaire de Laghet reste malgré tout parfaitement reconnaissable pour toute personne l’ayant alors fréquenté.


    167 En 1674, une communauté de Carmes déchaux, originaire de Turin commença la construction du couvent. Endommagé pendant la Révolution, il fut réparé en 1816, puis en 1887, après le tremblement de terre qui lui causa de sérieux dégâts. Les Carmes quittèrent le sanctuaire en 1907 suite à l’application de la loi sur les Congrégations. Voir Le Sanctuaire de Laghet, Nice Historique, 2001, n° 2-3.


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