La ville à la campagne, la campagne dans la ville,
l’album aquarellé de Nice et ses environs.

Par Jean-Paul POTRON
Conservateur de la bibliothèque Victor de Cessole, Nice
Rédacteur en chef de la revue Nice Historique.

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  • Nice, la promenade des Anglais.

    Nice, la promenade des Anglais.

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud.
    H 13,3 x L 21,1 cm.
    Extraite de l’Album aquarellé de Nice et ses environs.
    Nice, collection particulière.
    Photo © Michel Graniou/Acadèmia Nissarda.
  • Nice, la promenade des Anglais.2 - Urbain Garin

    Nice, la promenade des Anglais.

    Aquarelle sur papier d’Urbain Garin
    de Cocconato.
    H 12 x L 13,3 cm.
    Nice, bibliothèque de Cessole, n° inv. MAH-2773.
    Repr. © J.-P. Potron/Ville de Nice.
  • Maison de plaisance de S.A.R. la grande duchesse Stéphanie de Bade, à Nice.

    Maison de plaisance de S.A.R. la grande duchesse Stéphanie de Bade, à Nice.

    Gravure de Dieudonné Lancelot.
    Extr. de la revue Le monde illustré,
    n° 41, 23 janvier, 1858.
    Nice, bibliothèque de Cessole.
    Repr. © J.-P. Potron/Ville de Nice.
  • Promenade des Anglais.3

    Promenade des Anglais.

    Lithographie de Jacques Guiaud,
    H 13,1 x L 20,7 cm.
    Extraite de Nice, vues et costumes.
    Delbecchi, Nice, 1861.
    Nice, collection particulière.
    Repr. © J.-P. Potron/Acadèmia Nissarda.
  • Nice, la promenade des Anglais.3

    Nice, la promenade des Anglais.

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud.
    H 22 x L 35 cm.
    Nice, collection particulière.
    Photo © Michel Graniou/Acadèmia Nissarda.

    Nice, la promenade des Anglais

    Le circuit pictural qui conduit le spectateur entre le littoral et l’intérieur des terres, le faisant passer du pays traditionnel au paysage de la villégiature, se poursuit. Cette fois, nous nous trouvons sur la promenade des Anglais à l’ouest de l’embouchure du Paillon qui a fait l’objet de la troisième aquarelle de l’album. On devine l’important endiguement du quai des Phocéens qui dépasse du rivage et se poursuit sur le quai du Midi81.

    Sans aucun élément d’encadrement, ni de premier plan remarquable, la vue s’ouvre de plain-pied sur le panorama qui s’offre aux promeneurs. En refusant de restreindre le champ visuel, le peintre donne le sentiment d’un espace immense qui se poursuit au-delà de l’oeuvre. Le mont Alban a perdu de l’altitude et le mont Agel, ordinairement représenté tel le Vésuve au-dessus de Naples, disparaît au sein d’un amas bienvenu de nuages.

    Nice, rive droite, est le domaine de la ville jardin, d’un habitat discontinu où dominent les maisons destinées à la location. Les nouveaux quartiers Longchamp et Croix-de-Marbre ont la préférence des étrangers qui séjournent à Nice, notamment des Britanniques qui organisent leur communauté autour de leur English Church. Ce sont eux qui ont proposé à la municipalité au début des années 1820 de faire niveler un chemin en bord de mer afin de pouvoir profiter du spectacle et de l’air marin en se promenant, un usage qu’ils ont exporté partout à travers le monde82.

    L’agrément du site vient alors principalement de villas cossues édifiées au sein de jardins privatifs au nord de la piste83. Pour les protéger de la mer et également les frapper d’alignement, la mairie a procédé en 1854-1856 à un nouvel élargissement de six mètres en partie sur les propriétés, et fait prolonger la voie, qu’elle nomme désormais promenade des Anglais, jusqu’au vallon de Magnan84.

    Ces multiples travaux ajoutés aux constructions nouvelles rendent difficile la localisation exacte de la représentation proposée par Jacques Guiaud, d’autant qu’il n’existe pratiquement pas de dessin en élévation pour la fin des années 1850 à ce niveau de la promenade. Néanmoins, si l’on considère la succession des bâtisses par rapport à l’embouchure du Paillon, nous devrions nous trouver à la hauteur des numéros 15 et 17 avec immédiatement à gauche une vue inédite sur la maison Sue85.

    L’entrée principale de ces riches propriétés sans vis à vis se trouve du côté de la rue de France alors que de simples accès sont ouverts côté mer. Mais déjà plusieurs d’entre elles ont été démembrées. C’est le cas pour la villa Sue qui n’est accessible que par la promenade. Trois portails avec de hauts piliers surmontés de vasques relient le corps central et les deux ailes de la villa à la promenade des Anglais. Celui du milieu est prolongé jusqu’au perron par une tente destinée à protéger les usagers de l’allée des rayons du soleil. C’est que ces villas maritimes étaient déjà louées, tout ou partie, aux riches villégiateurs venus passer l’hiver sur la Riviera. La façade principale de la maison Sue exposée plein sud avec ses grandes baies vitrées, surmontée de toits terrasses, renoue avec la villa de plaisance italienne. La vue mer et l’héliotropisme influent désormais l’urbanisme de l’ensemble du quartier de La Buffa.

    Une autre version aquarellée dans des tons de terres et d’ocres propose la même vue, légèrement rapprochée puisqu’elle est prise au niveau du ponceau qui enjambe le ruisseau. On retrouve les mêmes éléments architecturaux sur la promenade. En revanche, on découvre un autre petit pont à l’arrière de la langue de terre au premier plan, signe de la présence d’un deuxième ruisseau86. Le même point de vue a également fait l’objet d’une petite aquarelle dans l’un des nombreux carnets de dessins remplis par l’excellent peintre amateur niçois Urbain Garin de Cocconato (1813-1877). Peut-être exécutée une ou deux années après celle de Guiaud, elle montre quelques bâtiments de plus dans le fonds et un nombre plus important de cabines de bains.

    Une lithographie de Guiaud comprise dans l’album Nice, vues et costumes, publié en 1861 correspond à ces aquarelles. Pourtant, elle n’est pas prise du même endroit puisque nous sommes maintenant en face de la villa Lions au n° 49, une des très belles demeures de la promenade où plusieurs membres de l’aristocratie ont résidé87. Lorsque Guiaud dessine la vue, elle accueille Stéphanie de Bade pendant l’hiver 1857-1858. Née princesse de Beauharnais et adoptée par Napoléon Ier, la grande duchesse Stéphanie fait partie du premier cercle des personnalités du Gotha88. C’est la raison pour laquelle deux soldats montent la garde devant la villa Lions.

    À bien considérer les deux oeuvres, il semblerait que le peintre s’est borné à changer la villa du premier plan afin d’actualiser la vue. Au deuxième plan de la lithographie, on reconnaît l’un des premiers hôtels de la promenade, l’hôtel Victoria bien représenté avec ses deux ailes latérales caractéristiques, alors que sur l’aquarelle l’immeuble correspondant évoque plutôt la maison Defly remplacée plus tard par l’hôtel Royal-Luxembourg. Le format limité et la perspective resserrée rendant impossible une bonne lisibilité des constructions en bord de mer, le peintre aurait choisi de ne pas toutes les représenter. Même en coupant à droite le cap de Nice et en élargissant le champ de la promenade, Guiaud ne peut, ni proposer une vue panoramique, ni rivaliser avec une photographie. Ce n’est pas son « optique »... L’artiste s’accorde beaucoup plus de libertés avec les lithographies, largement plus diffusées, qu’avec les aquarelles plutôt destinées à une clientèle qui fréquente la région.

    Dans les deux vues, la promenade jouit d’une belle activité : on la parcourt en conversant, tout en profitant du panorama et de l’air marin. En revanche, les bains de mer restent exceptionnels comme le montre la présence d’une seule cabine à roues et de deux tentes. Les Niçois et les militaires nagent depuis des années, mais plutôt au port et au Lazaret ; pour leur part, les étrangers préfèrent généralement le bain à la lame dans l’Atlantique. C’est sans doute la raison pour laquelle la lithographie propose l’animation plus conventionnelle de barques de pêche halées sur la grève.


    81 Voir supra l’aquarelle de l’embouchure du Paillon, p. 216.

    82 Ce n’était qu’un modeste chemin nivelé de deux mètres de large s’étendant le long de la grève depuis l’embouchure du Paillon jusqu’au niveau de l’actuelle rue Meyerbeer. Devant le succès de cette nouvelle promenade et l’extension rapide de la ville nouvelle, la piste fut portée par la municipalité en 1844 à quatre mètres et étendue jusqu’au vallon Saint-Philippe, sous l’appellation de « rue du littoral des Anglais ».

    83 Le plan d’urbanisme exigeait un retrait obligatoire de sept mètres minimum entre la voie littorale et la façade sud, cet espace était souvent aménagé en jardins.

    84 Grâce aux finances allouées par le Second Empire, la municipalité Malausséna put réaliser d’importants travaux en 1862 : gagner une douzaine de mètres sur la plage avec un perré en maçonnerie de trois mètres de haut. Jusqu’en 1930, la Promenade des Anglais présentait en largeur un trottoir nord de trois mètres, puis une voie unique de onze mètres, bordée au sud par une allée-promenade de quinze mètres, complantée d’une double bordure de palmiers, poivriers, lauriers-roses et eucalyptus, entre lesquels s’étendaient des parterres fleuris. En 1862, ses deux kilomètres étaient déjà pourvus de becs de gaz pour permettre un éclairage nocturne. La paroisse de Sainte-Hélène était atteinte en 1878, Carras fut rejoint en 1882, le Var gagné en 1903.

    85 Localisation aimablement donnée par Didier Gayraud. Marcellin Sue était un important négociant niçois, il avait racheté le 19 juin 1830 à Dominique Castellinard ses parcelles du quartier de la Buffa (ADAM, hypothèques, vol 67, 141-117).

    86 De multiples vallons venaient se jeter dans la baie des Anges avant que les réseaux des eaux usées et pluviales soient installés. Les plus connus et importants étaient situés plus à l’est : vallons de La Mantega (sous l’actuel boulevard Gambetta), de Saint-Barthélemy (rue de Rivoli) qui descendaient de Nice nord. Mais de nombreux ruisselets débouchaient aussi sur la plage comme les deux que représente ici J. Guiaud non loin de l’actuelle rue du Congrès.

    87 Sur l’histoire de cette villa voir Didier Gayraud, Belles demeures en Riviera, ouvrage cité, p. 120. Elle occupait l’îlot compris aujourd’hui entre les rues Saint-Philippe et Andrioli.

    88 Voir Françoise de Bernardy, Stéphanie de Beauharnais, fille adoptive de Napoléon et grande duchesse de Bade, Paris, Perrin, 1977, p. 327 et suiv. Hôte régulier de Nice à la fin de sa vie, la princesse y meurt le 29 janvier 1860. Une gravure de Lancelot intitulée Maison de plaisance de S. A. R. la grande duchesse Stéphanie de Bade, à Nice, montre la villa Lions, Le Monde illustré, n°41, 23 janvier 1858.


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