Par Jean-Paul POTRON
Conservateur de la bibliothèque Victor de Cessole, Nice
Rédacteur en chef de la revue Nice Historique.
Une fois dépassé le château des Thaon de Revel, les promeneurs gagnaient le site principal de l’excursion : la grotte de Saint-André. Lieu de fraîcheur, espace mystérieux qui suscite l’émoi et stimule l’imagination, la grotte naturelle ou artificielle est un lieu symbolique fort depuis l’Antiquité131. Le mouvement romantique du XIXe siècle en fait l’un de ses thèmes favoris, pensons à la grotte de Fingal, à celle dans laquelle meurt Atala, à la grotte marine des Travailleurs de la mer, à la grotte enchantée du Freischütz… Une bonne partie des hivernants de ces décennies-là étaient cultivés, beaucoup d’entre eux avaient à l’esprit des vers et des accords de ces chefs d’oeuvre du romantisme lorsqu’ils pénétraient dans cette grotte, certains les ont sans doute chantés. Selon Alphonse Karr, Lamartine l’aurait visitée avec une amie et lui aurait même consacré un poème132. La promenade à Saint-André étant donc considérée comme l’étape locale, romantique et sentimentale par excellence, elle a fait l’objet de nombreuses descriptions et représentations.
Son succès est d’autant plus grand qu’elle offre une curiosité hydrogéologique : les eaux qui en sortent sont tièdes en hiver et déposent du tuf lorsqu’elles perdent leur gaz carbonique en arrivant à l’air libre. Des objets placés dans la grotte afin d’être recouverts de concrétions sont mis en vente, une barque permet d’en gagner le fonds, bientôt une buvette y est installée et des visites guidées sont organisées afin de mieux apprécier la nature dans ses oeuvres de grand architecte… À la fin du séjour de Jacques Guiaud, la grotte a perdu une bonne part du caractère sauvage qui a fait son succès. L’ouverture de la route de Levens et l’exploitation des carrières de calcaire ont également bien modifié son environnement. Déjà en 1857, Charles Giraud déplorait que « les carrières que l’on exploitait aient quelque peu diminué les beautés des paysages »133.
Aussi le peintre se détourne-t-il ici de la grotte, dont il avait réalisé une splendide lithographie incluse dans l’album Nice pittoresque, pour s’attacher plus en amont à la route taillée dans les gorges de la Banquière. Le site mieux préservé reste impressionnant, romantique à souhait, tout à fait dans l’esprit du Sturm und Drang134 dont se nourrissent les gravures et keepsakes à la mode. Le principal auteur de guides locaux, le poète Émile Négrin, en laisse une très lyrique description : « la route à elle seule serait un but charmant de promenade, si la grotte n’existait pas. A gauche, elle rase les parois de la colline abrupte ; mais à droite elle offre un des paysages les plus sauvages de Nice : d’immenses rocs, d’immenses précipices, des pins à demi déracinés, des blocs polis et repolis par l’eau vagabonde, des pans de ciel bleu entre des montagnes plantées d’oliviers et des pics sourcilleux. On ne croirait jamais qu’aux portes de Nice existent des sites pareils ; aussi la surprise des étrangers est toujours bien grande ; Nice qu’ils ont trouvée couronnée de fleurs d’orangers leur apparaît tout à coup vêtue du plaid sauvage des Highlanders »135.
La mise en place est hardie : le peintre choisit ici d’éviter le panorama et de boucher la vue sur les clues par l’énorme bloc central coupé par la route à gauche et sapé par le Paillon à droite. Le peintre a choisi une heure du début de l’après-midi lorsque le soleil tape et que la lumière est aveuglante, ainsi que l’indique la route totalement insolée. C’est un monde de rochers et de feuillages où l’habileté du peintre fait merveille ; entre les falaises et les pins maritimes le ciel n’a qu’une part congrue. Deux voyageurs font halte sur un des parapets pendant qu’un muletier descend vers la ville. L’angle est original, il n’y a guère que les Mossa père et fils qui le retiendront en ce qui concerne les peintres. Guiaud a-t-il voulu ici laisser une version locale des gorges d’Ollioules, immortalisées par Robert, ou de la Fontaine de Vaucluse pour s’en tenir à la Provence voisine ? Plusieurs auteurs de guides niçois ayant fait le rapprochement, Guiaud a peut-être bien joué sur une telle évocation.
131 Voir Hervé Brunon, Monique Mosser, L’imaginaire des grottes dans les jardins européens. Paris, Hazan, 2014, 400 p.
132 On prête au grand poète français beaucoup d’amies et peut-être autant de grottes… Voir Les Belles pages du pays niçois. Nice, Gastaud, 1932, p. 157.
133 Charles Giraud, Nouveau guide de l’étranger à Nice et dans ses environs. Nice, Librairie étrangère, 1857, p. 63.
134 « Orage et passion », mouvement politique et artistique dont le nom est celui du titre d’une pièce de Friedrich Maximilian Klinger. 135 Émile Négrin, Promenades de Nice. Nice, ca1869.
135 Émile Négrin, Promenades de Nice. Nice, ca1869.
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