La ville à la campagne, la campagne dans la ville,
l’album aquarellé de Nice et ses environs.

Par Jean-Paul POTRON
Conservateur de la bibliothèque Victor de Cessole, Nice
Rédacteur en chef de la revue Nice Historique.

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  • Le monastère de Saint-Barthélemy.

    Le monastère de Saint-Barthélemy.

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud.
    H 12 x L 20,4 cm.
    Extraite de l’Album aquarellé de Nice et ses environs.
    Nice, collection particulière.
    Photo © Michel Graniou/Acadèmia Nissarda
  • Le monastère de Saint-Barthélemy.2

    Le monastère de Saint-Barthélemy.

    Crayon sur papier de Jacques Guiaud.
    H 10,2 x L 16,5 cm.
    Nice, musée Masséna, n° inv. MAH-1208-23.
    Repr. © J.-P. Potron/Ville de Nice.
  • Nice, le monastère de Saint-Barthélemy.3

    Nice, le monastère de Saint-Barthélemy.

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud, 1848.
    H 17,5 x L 25,5 cm (à vue), signée et datée b. g.
    Collection particulière.
    Photo © Michel Graniou/Acadèmia Nissarda.

    Le monastère de Saint-Barthélemy

    Assurément, ce point de vue a été l’un des préférés du peintre durant son séjour niçois. Nous en comptons trois versions connues. Il est vrai que la promenade qui gagnait le nord de Nice était l’une des plus appréciées : elle ménageait de magnifiques panoramas plongeant sur la ville. Depuis le monastère de Saint-Barthélemy, on pouvait encore aller visiter les jardins des villas Cessole et Arson, parmi les plus réputés de Nice, puis goûter le spectacle naturel et la fraîcheur du vallon Obscur situé plus au nord à Saint-Pancrace. Étendues au pied des collines de Nice, les plaines du Ray étaient en effet traversées de nombreux vallons. La présence d’une paysanne portant une jarre sur la tête connote cette importance de l’eau. Quant à sa représentation à mi-corps elle indique le fort dénivelé du quartier et la présence d’un escalier.

    Toutes les aquarelles connues de Guiaud de ce site sont composées depuis le même angle. L’artiste s’est installé sur l’un des paliers qui conduit à la villa Arson de façon à peindre le monastère de Saint-Barthélemy dans la moitié gauche de l’oeuvre et l’échappée sur Nice dans la moitié droite. Si ce point de vue est absent des albums gravés à l’exception de la lithographie de Lucas présente dans l’album de Châteaugiron, en revanche, on le trouve fréquemment sous le pinceau de peintres comme Jules Defer et Hercule Trachel et saisi à travers l’objectif de photographes tels Charles Nègre, Walburg de Bray, Jean Gilletta, etc.

    Dès l’année 1848, Jacques Guiaud en réalise une aquarelle crépusculaire dans laquelle la virtuosité de l’éclairage le dispute au dessin. Le peintre se plaît à traduire la complexité des volumes et des toits imbriqués les uns dans les autres, tout en prenant quelques libertés avec les proportions. Guiaud n’est pas un architecte, ni un peintre topographe, nous en trouvons ici la preuve : il suffit de comparer les dimensions et les modénatures du clocher d’une aquarelle à l’autre pour en être persuadé.

    Dans toutes les versions, l’image est cadrée à l’intérieur de la splendide pergola maçonnée qui supporte une tonnelle en bois sur laquelle s’enroule une vigne généreuse. L’encadrement du premier plan à travers une charmille est prisé par les peintres, notamment pour des sites conventuels italiens, nous pensons par exemple à l’abbaye bénédictine de Subiaco près de Rome que peint Hercule Trachel.

    Il est donc naturel que le premier plan soit animé par deux moines qui devisent, ce sont des capucins, les frères mineurs servant à Saint- Barthélemy, reconnaissables à leur capuche (le « capuce »). Peu après sa création à Rome en 1528, cet ordre arrive à Nice vers 1550 et s’adresse aux riches Bénédictins de Saint-Pons pour qu’ils leur concèdent des terrains et une chapelle. C’est ainsi que les Capucins s’installent à Saint- Barthélemy. Ils mettent en valeur le site, agrandissent l’église et créent le couvent. Autour, un faubourg agricole se développe. Au XVIIIe siècle, la population augmente au point que l’église s’avère trop exiguë pour contenir tous les fidèles. Un nouvel édifice est alors projeté ; la première pierre en est posée le 26 juillet 1750 et la consécration a lieu en 1768. C’est cet édifice, à quelques modifications près du XIXe siècle, qui figure sur l’aquarelle. Guiaud aime les intrications irrégulières des différents corps de bâtiment entre eux ; elles montrent l’originalité d’une construction, les rajouts successifs au fur et à mesure de ses agrandissements et l’habileté des constructeurs pour arrimer les bâtisses sur les pentes.

    La proximité du couvent implique la présence non seulement des religieux, mais également de la vigne. Les moines, en effet, cultivent les vignes nécessaires à la liturgie comme à l’observance de la règle monastique : outre le quart de litre destiné quotidiennement à chacun des moines, l’obligation d’hospitalité implique que du vin soit servi aux hôtes de passage. Avant la Révolution, une tradition locale voulait que chaque année, le 24 août, jour de la saint Barthélemy, les Capucins offrent une barrique d’eau bénite aux Bénédictins de Saint-Pons et reçoivent en retour un tonnelet de vin de messe140.


    140 Cette pratique va inspirer à Francis Gag (1900- 1988), célèbre auteur de théâtre dialectal niçois, une comédie fameuse Lou Vin dei Padre (1937).


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