Par Jean-Paul POTRON
Conservateur de la bibliothèque Victor de Cessole, Nice
Rédacteur en chef de la revue Nice Historique.
Entrer plus avant dans le paysage d’une aquarelle précédente s’avère une démarche fréquente dans cet album. Ainsi, depuis le pont Magnan, nous avons remonté un temps le vallon de La Madeleine pour suivre maintenant les lacets du chemin de Ginestière. En prenant de la hauteur, un large panorama se déploie vers l’est, sur le front de mer de la ville, la colline du Château et le cap Ferrat. C’est un point de vue bien connu, l’un des temps forts que ménagent les promenades sur les collines étagées à l’ouest de Nice et qui sont consignées dans la plupart des guides de voyage. Aussi, beaucoup de paysagistes sacrifient à cette vue depuis La Bornala, non seulement parce qu’elle est prisée des hivernants, mais aussi parce qu’elle fait un magnifique pendant avec le panoramique opposé sur Nice appréhendé depuis le col de Villefranche ; ainsi de Bacler d’Albe, d’Hercule Trachel, de François Bensa ou de Joseph Fricero...
Comme c’est le cas pour la majorité d’entre eux, Jacques Guiaud ne choisit pas une heure en milieu de journée afin d’en éviter le violent contrejour. Une douce lumière lui permet au contraire de nimber l’ensemble de la composition sous un ciel rose saumon qui se reflète de manière « surexposée » dans la baie des Anges. Un subtil camaïeu de mauves souligne les ombres et les collines dans les lointains. Est-ce le matin comme les reflets du Château et des embarcations dans la mer pourraient le laisser penser ? Est-ce le soir si l’on en juge par l’ombre portée par les personnages qui cheminent ? La lumière voilée par un ciel entièrement couvert par une fine couche de nuages peut aussi révéler de délicates nuances colorées. De fait, l’éclairage proposé ici par Guiaud n’a rien de naturel. Et ce n’est pas qu’avec lui que le peintre prend des libertés.
Si l’on compare cette vue avec une autre aquarelle du même endroit réalisée probablement sur place93, nous constatons que les proportions du paysage représenté sont elles aussi modifiées : les montagnes sont surélevées et les caps raccourcis, la baie des Anges est agrandie, etc. afin de resserrer la perspective et d’accentuer l’étagement des différents plans. Pourtant, le site reste parfaitement reconnaissable ; n’est-il pas même plus convaincant dans sa version revisitée ? Le peintre se fait illusionniste lorsque la nécessité de l’acte poétique le conduit à transfigurer la réalité. Guiaud profite de l’éloignement du point de vue pour renoncer à la représentation détaillée des éléments du paysage. Jouant sur l’alternance des zones de végétation, de terres, de constructions, de montagnes et d’eau, diversement éclairées et traitées, il donne de la profondeur à son aquarelle.
Point d’ancrage de la composition, le splendide bouquet d’oliviers centenaires sur la gauche offre un puissant contraste avec le reste de l’aquarelle par la netteté de son traité et la gamme foncée de ses coloris. Cette caractéristique de plusieurs premiers plans des aquarelles de cet album trouve ici l’une de ses meilleures réalisations.
93 Nice, musée Masséna, n° inv. 1207-16.
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