Par Jean-Paul POTRON
Conservateur de la bibliothèque Victor de Cessole, Nice
Rédacteur en chef de la revue Nice Historique.
Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud.
H 15,1 x L 22,9 cm.
Extraite de l’Album aquarellé de Nice et ses environs.
Nice, collection particulière.
Photo © Michel Graniou/Acadèmia Nissarda.
Le recueil de paysages obéit à des usages qui ont été progressivement mis en place grâce aux traditions artistiques nées des multiples périples effectués par les artistes, notamment ceux qui ont suivi les routes du Grand Tour. Le déroulé des vues suit le parcours du voyageur ; elles ne s’écartent guère du chemin et correspondent généralement aux haltes faites lors des relais, aux pauses prises au sommet des côtes. Le peintre ne manque pas de sortir son calepin pour dessiner le panorama des alentours. Les paysannes du premier plan, qui vont et viennent ou récupèrent à l’ombre, animent non seulement la scène mais donnent aussi - pour ainsi dire - la marche à suivre du site figuré.
Au sein du vaste ensemble des représentations du paysage niçois, cette aquarelle montrant Nice depuis les pentes du col de Villefranche fait partie des thèmes récurrents largement diffusés par les albums de lithographies et de photographies. Le promontoire qui domine la descente sur Nice permet d’offrir une vue générale sur la ville, introduction parfaite à l’album. Aller du général au particulier fait alors partie d’un système général de la pensée que l’on retrouve notamment dans la rhétorique ; quant à l’appréhension du territoire depuis une position surélevée, elle s’inscrit dans l’héritage de la vue à vol d’oiseau en vogue au cours des deux siècles précédents.
La route du col de Villefranche (qui correspond à l’actuelle avenue du Mont-Alban) serpente à travers les jardins de Riquier et les oliveraies du mont Boron, avant de rejoindre les sols rocailleux du sommet protégé par le fort du mont Alban, situé ici hors champ dans le dos du peintre.
Classiquement organisée par le chemin qui plonge entre les deux bosquets à droite et à gauche, l’aquarelle s’ouvre sur le sujet central de la colline du Château, véritable pivot autour duquel s’entourent les ceintures végétales, urbaines et maritimes, prolongées dans les lointains par la pointe de Carras, le cap d’Antibes et le massif de l’Estérel. Afin de brosser cette vue frontale, Guiaud a préféré se placer en contrebas du col et non pas à proximité de la chapelle disparue aujourd’hui des Âmes du Purgatoire, un angle qu’il a lui-même illustré dans de grandes aquarelles virtuoses, pendants du point de vue opposé sur la ville, à l’ouest depuis les hauteurs de Magnan. Joseph Fricero, François Bensa, Hercule Trachel pour les Niçois ont maintes fois proposé cette approche picturale symétrique du site.
Les ombres portées des personnages indiquent qu’il n’est pas loin de midi, une heure qui permet de mettre en lumière les immeubles imposants de la rue Ségurane, du port et de la place Victor (Garibaldi). De la vieille ville, cachée par la colline du Château, n’émergent que la tour Saint-François et les deux arches du pont Vieux. À droite, on distingue la barre des hôtels longeant le Paillon sur les quais Saint-Jean-Baptiste et Masséna, puis les bâtisses qui s’échelonnent le long de la route de France jusqu’à Sainte-Hélène. Grâce à un ciel opportunément nuageux qui permet d’adoucir la vive lumière méridienne, le peintre peut détailler la topographie urbaine et déployer une belle gamme de couleurs dominées par les classiques terres et verts.
Une autre version de cette vue datée 1853, en tondo au crayon gris à peine rehaussé de couleurs, montre un paysage noyé dans la lumière vive sous un ciel pur, céruléen, qui efface les détails et dilue les teintes.
La lithographie intitulée Vue prise du col de Villefranche qui figure dans l’ouvrage de Delbecchi, Nice, vues et costumes, est l’exacte réplique de l’aquarelle ouvrant l’album. Enfin, une gravure en a été tirée pour agrémenter l’article sur Nice de L’Illustration dans sa livraison 692 du 31 mai 1856. Intitulée Vue générale de Nice, elle diffère de l’aquarelle notamment dans la distribution des végétaux, rochers et personnages du premier plan. Au cours de son séjour niçois, Jacques Guiaud est plusieurs fois sollicité par la grande revue parisienne pour fournir des images de sa ville adoptive.
Outre ce point de vue plongeant sur Nice que les peintres affectionnent, la mise en place des différents plans, la distribution des éléments du décor, le traité des touches, la dilution de la couleur dans les lointains se retrouvent souvent chez un maître local du paysage, Hercule Trachel. Plus d’une planche de ce recueil original de Jacques Guiaud trouve des échos chez le peintre niçois.
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