Par Jean-Paul POTRON
Conservateur de la bibliothèque Victor de Cessole, Nice
Rédacteur en chef de la revue Nice Historique.
En plan serré par rapport à la vue précédente, l’église de Saint-Pons fait ici l’objet d’un « portrait » monumental. Jacques Guiaud refuse la vue strictement axiale pour un léger trois-quarts décalé sur la gauche qui lui permet de montrer les côtés ouest du bâtiment et de lui ajouter de la profondeur perspective. La saisie en contre-plongée ajoute encore à l’effet spectaculaire du portique, du clocher et « de l’avant-corps greffé au tambour ovale et cantonné de contreforts »127. Les jeux baroques de courbes et de contre-courbes sont magnifiés par le métier et l’habileté du peintre : sûreté de la main garantissant la netteté du trait, science des taches colorées mettant l’édifice en vibration... On peut juger de la maîtrise de Guiaud dans le rendu des architectures face à John Campbell, son élève anglais qui a sans doute effectué une copie de l’aquarelle en atelier au mois de septembre 1854. Nous retrouvons, en effet, dans les deux oeuvres un point de vue identique, la même répartition des ombres et des lumières, une semblable distribution des personnages avec la paysanne et le mulet faisant une pause près de la fontaine ainsi que les deux ecclésiastiques descendant les marches de l’escalier elliptique.
De mêmes préoccupations animent les voyageurs cultivés, les écrivains, historiens, auteurs de guides, dessinateurs et peintres. La beauté naturelle d’un site prend une nouvelle dimension lorsqu’il a été le cadre d’événements historiques. Les batailles, martyres, visites princières... qui glorifient les temps héroïques, - l’Antiquité et le Moyen Âge tenant le premier rang - et exaltent le sentiment d’une appartenance nationale font partie des épisodes recherchés. C’est particulièrement le cas de l’abbaye de Saint-Pons qui reste un des hauts lieux de l’histoire de Nice.
En contrebas de la ville romaine de Cemenelum et sur le tracé de la via Julia Augusta, l’abbaye fut fondée au VIIIe siècle par les Bénédictins en remplacement de l’ancienne basilique funéraire érigée sur le tombeau de Pontius. Elle est longtemps restée un centre spirituel majeur du pays niçois, on y venait de fort loin en pèlerinage et le culte de saint Pons s’est propagé dans toute la Provence, en Languedoc et jusqu’en Catalogne. Son importance était telle que sa fondation fut même attribuée à Charlemagne... C’est aussi sur le parvis de l’église que l’acte de la « dédition » (donation volontaire) de Nice à la maison de Savoie fut ratifié le 28 septembre 1388. Très richement dotée en biens et privilèges, l’abbaye détenait de très loin la principale fortune niçoise au Moyen Âge.
Avec l’apparition de nouveaux ordres religieux et l’affirmation du pouvoir seigneurial, l’importance de l’abbaye décrut. Elle fut ravagée par les Turcs lors du siège de Nice en 1543. Reconstruite entre 1725 et 1743 sur les deniers royaux, l’église offre le plus bel ensemble baroque de Nice hors-les-murs ; sa paternité est attribuée à Filippo Juvarra, l’architecte ingénieur du roi de Piémont-Sardaigne128.
Patron des agriculteurs et des éleveurs, c’est à saint Pons que l’on adressait les prières de beau temps ; saint guérisseur, c’est lui qui protégeait de la peste, du choléra et autres épidémies. Pour sa fête patronale, le 11 mai, la journée était chômée dans tout le comté et la population se retrouvait pour un grand festin autour de l’abbaye, plusieurs fois aquarellé par Emmanuel Costa. Une fois encore, à la différence des paysagistes niçois, Jacques Guiaud isole le monument de son environnement et refuse la vue pittoresque afin d’en privilégier la puissance architecturale.
127 Jean-Michel Sanchez, « L’abbaye de Saint- Pons à Nice : une oeuvre de Filippo Juvarra influencée par Pierre Puget ? », Provence-Historique, 2003, p. 380.
128 Racheté aux Domaines par la ville de Nice en 1898, l’ensemble conventuel fut ensuite rattaché à l’hôpital Saint-Roch, puis à celui de Pasteur comme annexe appelée « hôpital de l’Abbaye ». L’église a été classée Monument historique le 3 mai 1913, les façades et toitures de l’abbaye et du cloître ont été classées le 29 décembre 1949.
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