Par Jean-Paul POTRON
Conservateur de la bibliothèque Victor de Cessole, Nice
Rédacteur en chef de la revue Nice Historique.
Ultime retour sur le littoral avec cette vue de Menton, ville étape importante lors des déplacements entre la France et la péninsule italienne. Plus à l’est, c’est la Ligurie, la Rivière de Gênes ainsi qu’on dénommait alors cette partie du littoral. Accrochée sur son rocher qui tombe directement dans la mer, dominée par ses clochers surdimensionnés et son église Saint-Michel, individualisée par sa ceinture de bâtisses verticales à fleur d’eau, la vieille ville de Menton annonce d’autres cités maritimes de la Riviera, comme San Remo, Porto Maurizio, Cervo... qui accentuent l’attrait romantique et touristique pour cette région.
On ne connaît que trois représentations de Menton par Guiaud dont une très originale, prise du large en bateau - une aquarelle qui a appartenu à Napoléon III - et aucune de Roquebrune, alors que ces deux cités sont souvent dessinées par les peintres voyageurs et les artistes locaux. Comme Jacques Guiaud a beaucoup fréquenté ces parages, puisqu’il a aquarellé Monaco et les villes de la Riviera italienne à maintes reprises, nous penchons pour une disparition posthume des oeuvres qu’il a pu réaliser dans le pays mentonnais.
Il est possible aussi que les soubresauts politiques aient éloigné Guiaud de ce territoire, le peintre ne souhaitant pas vivre d’autres affres que ceux qui ont mis Paris à feu et à sang. Menton, en effet, a connu un destin politique original durant le laps de temps que Guiaud a résidé à Nice : depuis 1848, Menton et Roquebrune ont fait sécession de la principauté de Monaco qui persistait à les imposer trop lourdement. Devenues des villes libres, elles se sont mises sous la protection du royaume de Sardaigne. Aucune trace de vent révolutionnaire n’est décelable sur cette aquarelle où tout est calme : les Mentonnais vaquent à leurs occupations habituelles, un pêcheur range son matériel dans sa barque halée sur la grève, deux femmes assises se reposent tout en conversant.
C’est le début de l’après-midi dans le quartier de Garavan qui occupe le premier plan, un lieu réputé pour ses forêts de poivriers, de caroubiers et d’oliviers qui s’étendent jusqu’à la frontière. Les volutes des arbres, qui animent sur la droite le paysage minéral de Menton, trouvent un discret contre-point à gauche avec la voile du frêle esquif. Procédé typique des vedutistes italiens que ne renient pas les paysagistes britanniques, les corps de bâtiments et particulièrement les clochers offrent des proportions verticales exagérées afin de « faire plus vrai que nature ». L’habitat continu des maisons anciennes forme une muraille qui prend des allures de théâtre maritime, un traitement qui nous rappelle l’aquarelle précédente de Villefranche. Mais le point de vue adopté ici par Guiaud est plus distancié par rapport à la ville ; en outre, la partie haute plus suggérée que décrite et les restes du château détruit donnent un aspect fantomatique à Menton. Enfin, l’outremer des eaux de la baie contraste fortement avec les maisons du vieux Menton, une combinaison à laquelle recourt Guiaud à Nice comme à Villefranche ; ainsi les différents plans de la composition – frontale et classique – gagnent en profondeur.
Ce point de vue a été largement diffusé par la photographie, beaucoup moins par le dessin et la gravure qui cadrent plutôt la vieille ville en plan serré ou bien depuis l’autre côté, à l’ouest. Au milieu du XIXe siècle, Guiaud était plus original qu’il ne l’est aujourd’hui avec un siècle et demi d’accumulation d’iconographie mentonnaise.
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