La ville à la campagne, la campagne dans la ville,
l’album aquarellé de Nice et ses environs.

Par Jean-Paul POTRON
Conservateur de la bibliothèque Victor de Cessole, Nice
Rédacteur en chef de la revue Nice Historique.

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  • Vue de Nice depuis le jardin public.

    Vue de Nice depuis le jardin public.

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud.
    H 12,3 x L 20,4 cm.
    Extraite de l’Album aquarellé de Nice et ses environs.
    Nice, collection particulière.
    Repr. © Michel Graniou/Acadèmia Nissarda.
  • Jardin public.

    Jardin public.

    Lithographie de Jacques Guiaud,
    H 13,1 x L 22 cm.
    Extraite de Nice, vues et costumes.
    Delbecchi, Nice, 1861.
    Nice, collection particulière.
    Repr. © J.-P. Potron/Acadèmia Nissarda.
  • Vue de Nice depuis l’extrémité est de la promenade des Anglais.

    Vue de Nice depuis l’extrémité est de la promenade des Anglais.

    Aquarelle sur papier anonyme, 1841,
    datée et localisée b. g.
    Collection particulière.
    Repr. © J.-L. Martinetti/Acadèmia Nissarda.
  • Vue du Pont Neuf depuis le jardin public.

    Vue du Pont Neuf depuis le jardin public.

    Crayon sur papier de Jacques Guiaud.
    H 10 x L 15,5 cm.
    Nice, musée Masséna, n° inv. MAH-1208-19.
    Repr. © J.-P. Potron/Ville de Nice.
  • Vue de Nice et du Pont Neuf depuis le jardin public

    Vue de Nice et du Pont Neuf depuis le jardin public

    Aquarelle sur papier d’Urbain Garin de Cocconato, 1853,
    H 26,5 x L 48,5 cm, signée et datée b. dr.
    Nice, musée Masséna, MAH-9053.
    Photo © Michel de Lorenzo/Ville de Nice.

    Vue de Nice depuis le Jardin public

    Le Pont-Neuf qui figure dans l’aquarelle précédente – vu en amont – se retrouve au milieu de celle-ci, cette fois en aval du Paillon. Du reste, cette image est aussi le prolongement d’une autre vue précédente, celle de la baie de Nice prise de la Promenade des Anglais. Ici, l’artiste s’est un peu déplacé vers l’est pour gagner le premier jardin public de Nice, situé à droite de l’embouchure du Paillon38.

    Le regard est tout de suite attiré par les quatre allées rayonnantes de cet espace vert qui occupe la totalité du premier plan, elles le dynamisent tout en offrant un point de fuite décalé sur la gauche. Ces allées convergent vers le quai Masséna (actuelle avenue de Verdun) et confèrent au paysage un puissant effet de perspective auquel obéit chacun des autres plans : le Paillon, la ville urbanisée, les montagnes et même le ciel dont les masses nuageuses s’organisent selon un schéma similaire, celui d’un mouvement général de la droite vers la gauche de l’aquarelle, largement accentué par la direction prise par la majorité des personnages.

    Une fois de plus saisie au crépuscule, cette aquarelle offre plus de contrastes et de netteté que les précédentes, elle répond aussi à une palette plus étendue afin de représenter un panorama élargi. L’or du soir teinte de roses les ciels, de rouges, bruns et violets les montagnes. Les verts des platanes le long des quais se font plus vifs. Les ombres portées vers le nord et l’est s’allongent, elles aussi, vers la gauche. La grande ombre de l’hôtel des Anglais qui envahit le Jardin public indique qu’il est temps, en effet, de quitter le bord de mer pour commencer à regagner son domicile.

    Ce point de vue sur Nice est magnifique et les villégiateurs ne manquent pas de l’admirer à chacune de leurs sorties. Cette partie de la ville est récente : les décennies 1830-1850 avaient vu la construction des immeubles de la Vila nova édifiés depuis le Teatro reale (site de l’Opéra actuel) au quai des Phocéens et des bâtiments longeant le Paillon depuis le Collegio nazionale (lycée Masséna) jusqu’à l’hôtel des Anglais (Méridien-Ruhl actuel). La fièvre immobilière avait transformé des terrains vagues en belles demeures et jardins, en palais pour les nobles niçois et en hôtels modernes. Ainsi, la grosse bâtisse sur quatre étages39 qui s’élève, à droite, sur l’angle du quai du Midi (des États-Unis) et du quai (avenue) des Phocéens, fut construite sur un terrain acheté en 1834 par un riche marchand de bois, le Niçois Horace Gauthier40. De l’autre côté de la rue Saint-François-de-Paule se trouve la maison Cantel reliée à l’autre corps de bâtiment sur le quai des Phocéens par des magasins bas surmontés par une terrasse41.

    Quant aux friches marécageuses comprises entre les actuelles rue Paradis et Halévy, elles furent en partie acquises fin 1832 par le négociant marseillais André Gilly au Niçois Laurent Bessi pour la somme certes considérable de 68 000 francs42 mais bien insuffisante au regard des plus values réalisées par la suite. L’avisé Phocéen les lotit aussitôt et anticipa la demande de la municipalité soucieuse d’ouvrir des voies nouvelles et des espaces verts : avec Bessi il proposa à la ville les 4 000 m2 de terrains destinés au futur jardin public et à la rue Paradis pour la somme énorme de 12 400 lires43. Ce coup de maître réveilla les investisseurs, notamment niçois : en cinq ans, la presque totalité des terrains compris entre le quai 224 41 Projet de 1836, voir Éd. Scoffier, F. Bianchi, ouvrage cité, p. 50. 42 Éd. Corinaldi, ouvrage cité, p. 80. 43 Simonetta Tombaccini Villefranque, « Jardins privés et publics à Nice », 1814-1860. Nice Historique, 2009 n°1, p. 52-54. à gauche. Jardin public. Lithographie de Jacques Guiaud, H 13,1 x L 22 cm. Extraite de Nice, vues et costumes. Delbecchi, Nice, 1861. Nice, collection particulière. Repr. © J.-P. Potron/Acadèmia Nissarda. Maquette Guiaud 2018.6.b.bis 2_Maquette Guiaud 2018.6.b.qxd 30/10/2018 11:52 Page 224 Masséna (l’avenue de Verdun), la rue Masséna et la rue Paradis, changèrent de mains, furent divisés ou, au contraire, réunis et construits ! Après plusieurs changements de propriétaires, les immeubles donnant au sud sur le jardin public devinrent la Pension anglaise et l’hôtel de la Grande- Bretagne dont on voit l’extrémité entre les deux rangées d’arbres. Quant au jardin public, il n’était toujours pas commencé en 1846. Les riverains se cotisèrent pour décider la mairie à faire remblayer le terrain boueux donnant sur le Paillon, un décor peu attrayant pour les hivernants. L’opération qui opposa l’architecte municipal à l’entrepreneur fut néanmoins menée à son terme en 1849, mais il fallut encore patienter deux années avant que le Consiglio d’Ornato ne se mette d’accord pour le complanter en jardin français ou anglais : il trancha pour une version mixte...44. Quittons le jardin pour gagner le quai Saint-Jean-Baptiste, entre le Pont-Neuf et le Pont-Vieux, où se succèdent d’autres hôtels. Plus loin, entre la tour Saint-François et la tour de l’Horloge qui le domine se resserre le vieux Nice plus clair dans les lointains. Seules, les façades nord à l’aplomb du quai des Bastions sont visibles. La ville se déploie à l’horizontale, lumineuse comme un décor de théâtre, calée contre des montagnes plus sombres et plus colorées. Leur succession décroissante depuis le mont Leuze, le mont Gros, la colline du Château, le mont Boron jusqu’au cap de Nice, leur aridité et leur absence d’habitat (hormis le fort de mont Alban, le cimetière et la citadelle ruinée du Château de Nice), accentuent le contraste avec la cité, mais sans susciter l’inquiétude que les montagnes romantiques inspirent généralement. Ici, une chaude lumière nimbe l’ensemble du paysage ; entre le paysage jardiné, le paysage urbain et le paysage naturel, règne un harmonieux équilibre.


    38 Très remanié, ce jardin de forme triangulaire se situe actuellement entre les avenues de Suède, de Verdun et Gustave V. Il porte le nom de Jardin de l’Arménie depuis 2007.

    39 La surélévation d’un étage effectuée par Horace Gauthier sans l’accord du Consiglio d’Ornato de la ville entraîna une procédure le 19 avril 1843 devant la Regia Delegazione, Archives municipales de Nice (AMVN), D 336.

    40 AMVN, 02FS 0913, D 336. Éd. Corinaldi, ouvrage cité, p. 70.

    41 Projet de 1836, voir Éd. Scoffier, F. Bianchi, ouvrage cité, p. 50.

    42 Éd. Corinaldi, ouvrage cité, p. 80.

    43 Simonetta Tombaccini Villefranque, « Jardins privés et publics à Nice », 1814-1860. Nice Historique, 2009 n°1, p. 52-54.

    44 AMVN, D 45, délibération du 30 décembre 1846 et O3/13.


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