La ville à la campagne, la campagne dans la ville,
l’album aquarellé de Nice et ses environs.

Par Jean-Paul POTRON
Conservateur de la bibliothèque Victor de Cessole, Nice
Rédacteur en chef de la revue Nice Historique.

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  • Nice, vue du quai Saint-Jean-Baptiste et du Pont-Neuf

    Nice, vue du quai Saint-Jean-Baptiste et du Pont-Neuf

    Aquarelle sur papier de Jacques Guiaud. H 12,5 x L 20,4 cm. Extraite de l’Album aquarellé de Nice et ses environs. Nice, collection particulière. Repr. © Michel Graniou/Acadèmia Nissarda.
  • Vue de l’hôtel Chauvain & du Pont Neuf.

    Vue de l’hôtel Chauvain & du Pont Neuf.

    Dessin et Lithographie de Jean Antoine Lucas.
    Nice, Société typographique.
    Paris, Bibliothèque nationale de France,
    cabinet des estampes 110118 NQ-C-020936.
  • Quai Masséna.

    Quai Masséna.

    Lithographie de Jacques Guiaud,
    H 14,8 x L 22,8 cm.
    Extraite de l’album Nice, vues et costumes.
    Delbecchi, Nice, 1861.
    Nice, bibliothèque de Cessole, ico 30-6.
    Repr. © J.-P. Potron/Ville de Nice.
  • Pont Neuf, place et quai Masséna.

    Pont Neuf, place et quai Masséna.

    Pont Neuf, place et quai Masséna.
    Lithographie de E. Beau
    d’après un dessin d’Hercule Trachel.
    H 14 x L 22,8 cm.
    Extraite de l’album Nice et ses environs.
    Impr. par Hangard-Maugé, Paris.
    Editée par Charles Giraud, Nice.
    Collection particulière.
    Repr. © J.-P. Potron/Acadèmia Nissarda.

    Nice, vue du quai Saint-Jean- Baptiste et du Pont-Neuf

    Ces alignements de longs immeubles néo-classiques, ce fleuve surmonté d’un élégant pont en pierre, ce halo saumoné de fin d’aprèsmidi… Oui, nous pourrions bien nous trouver en bord de Seine, près de l’île Saint-Louis par exemple. Montrer au spectateur que Nice devient une grande ville à l’exemple des capitales européennes était probablement l’intention du peintre. Le modèle de l’urbanisme parisien s’impose partout : on sait par exemple que la belle ordonnance des arcades autour de la place Masséna s’inspire de la piazza Vittorio Veneto à Turin qui fait elle-même référence à la rue de Rivoli. Mais, à considérer plus attentivement les bâtiments limités à deux ou trois étages et un rez-de-chaussée par le règlement d’urbanisme du Consiglio d’Ornato35, le quai qui présente une largeur réduite, le pont plat et peu surélevé, la présence d’individus dans le lit du Paillon, non, Nice n’est pas encore Paris. Il faudra attendre son annexion à la France et la volonté impériale de faire de Nice la capitale de la villégiature pour qu’on la surnomme à la fin du siècle « le petit Paris d’hiver ».

    Pendant de la vue précédente dont elle reprend la construction en angle rentrant, mais inversé cette fois, cette aquarelle met en vedette les architectures au détriment de l’élément naturel, le fleuve qui traverse la ville, seulement suggéré. Nous voici donc sur le quai Saint-Jean- Baptiste, non loin de la place Masséna dont on aperçoit deux arcades dans l’ombre derrière les arbres. Pour relier la rive gauche où se trouve la vieille ville (invisible sur cette aquarelle) à la rive droite, dont les faubourgs de la Croix-de-Marbre et Longchamp s’urbanisent, le pont Neuf a été ouvert en 1825. Le long des quais de la ville neuve, les modestes maisons locatives et les prés ont fait place dans les années 1840 à des immeubles monumentaux. Leurs volumes et leurs longues façades alignées de couleur claire tranchent avec l’habitat traditionnel. Lorsque l’accès à la colline du Château sera rendu possible après l’annexion de Nice à la France, dessinateurs et photographes multiplieront les vues mettant ce contraste en évidence.

    Au premier plan à droite, s’élève l’hôtel édifié par Auguste Chauvain36 dont le nom figure en capitales sur l’enseigne en façade. Très étendu, il couvre la parcelle allant du quai à la rue Gioffredo et à la rue Chauvain ouverte lors de sa construction ; c’est alors l’un des établissements les plus modernes et recherchés de Nice. Puis, de l’autre côté de la place Masséna, derrière la rangée d’arbres, s’allongent les hôtels de France et de la Grande-Bretagne. Tout au fond, la barre aux tons parme surmontée d’un fronton central correspond à l’hôtel des Anglais qui n’est pas encore agrandi jusqu’au front de mer. Surélevés, ravalés, modifiés, renommés, la plupart de ces immeubles existent toujours. Après le quartier de Carabacel, mais avant celui de Cimiez, les quais du Paillon ainsi que le quai du Midi (des États-Unis) ont été les sites privilégiés des grands hôtels pour les étrangers venant passer l’hiver à Nice. Ils y retrouvent cette architecture internationale néo-classique de bon aloi qui a cours de Brighton et Londres à Berlin et Saint-Pétersbourg.

    Jacques Guiaud est passé maître dans les combinaisons savantes de perspectives dont les lignes fuyantes sont rythmées par les ouvertures et les modénatures répétitives des façades. Afin de renforcer la composition architectonique, l’artiste n’a pas gommé les traits de mise en place au crayon. Seuls Hercule Trachel et Jean Antoine Lucas, auteurs de vues perspectives comparables37, peuvent rivaliser avec lui. Le talent de Guiaud se manifeste surtout dans la partie gauche de l’aquarelle. Les coloris, les ombres allongées vers le nord est trahissent l’heure vespérale. C’est un moment que l’artiste apprécie car le soleil est moins aveuglant. Grâce à un subtil dégradé de violet traduisant la puissance de la lumière qui dilue les eaux et la pierraille, l’artiste jette un voile diaphane sur le monde chaotique et peu engageant du Paillon. Ainsi l’attention peut-elle se porter sur la partie monumentale – et quelque peu parisienne…– de la ville nouvelle.

    Des couples bien mis profitent de la douceur de la fin d’après-midi pour se promener sur les quais pendant qu’en contrebas, dans les filets d’eau du fleuve côtier, on distingue les silhouettes de lavandières occupées à laver le linge. Mais en matière d’animation, la vedette revient à la malle poste à quatre chevaux. Les quais bordant le Paillon sont soumis à un va-et-vient continu de diligences, courriers, charrois partant de Nice ou arrivant de Turin, de Gênes, d’Antibes et des vallées proches. Aux habituelles opérations d’import-export propres à une ville portuaire et transfrontalière, s’ajoutent le ravitaillement d’une station de villégiature et le transport des voyageurs. Les bureaux des compagnies se situent alors sur les places principales : Masséna, Saint-Dominique (actuellement du Palais de Justice) et Saint-François.


    35 “Conseil d’ornement de la mairie de Nice”, équivalent actuel des services de l’urbanisme, il est chargé d’examiner les demandes de construction et d’aménagements, d’appliquer le plan régulateur mis en place par les autorités sardes de 1832 à 1860. Voir à ce sujet, Édouard Scoffier, Félix Bianchi, Le Consiglio d’Ornato, l’essor de Nice, 1832-1860, réédition Nice, Forum d’Architecture et d’Urbanisme, Serre éd., 1998, 151 p.

    36 Chauvain avait racheté une grande parcelle du pré Cougnet et soumis son projet d’hôtel Cosmopolitain au Consiglio d’Ornato en janvier 1844 (AM Nice, 02FS 0913, D 339). Sur le quai Saint-Jean-Baptiste, il présente une longue façade de 27 fenêtres et 8 balcons en pierre, voir Éd. Scoffier, F. Bianchi, ouvrage cité, p. 86.

    37 Pont Neuf, place et quai Masséna, dessin d’Hercule Trachel, lithographie d’E. Beau, imprimé par Hangard-Maugé à Paris, édité par la Librairie étrangère de Charles Giraud à Nice. Planche extraite de l’album Nice et ses environs. Vue du quai du Midi, dessin d’Hercule Trachel, lithographie d’Isidore Deroy (H 185 x L 265 mm), imprimé par Lemercier à Paris, publié par Visconti à Nice, planche supplémentaire de l’album Nice et ses environs. Vue du Pont-Neuf, dessin et lithographie de J. Lucas, imprimé par la Société typographique de Nice (planche de grand format).


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