Par Jean-Paul POTRON
Conservateur de la bibliothèque Victor de Cessole, Nice
Rédacteur en chef de la revue Nice Historique.
C’est le Cimiez baroque, celui de l’ensemble conventuel franciscain, que retient J. Guiaud alors que la visite aux ruines romaines de Cemenelum est passée sous silence. C’est une attitude constante du peintre : au cours de ses voyages dans les grandes villes italiennes, il ne dessine ni monument, ni site antiques. Est-ce par refus de se conformer à l’esthétique classique, de retrouver des modèles honnis ( ? ) par l’étudiant peintre qu’il a été, de mettre ses pas dans les « voyages organisés » du Grand Tour ? Très influencé par le romantisme en vogue sous des latitudes plus septentrionales, Guiaud préfère dessiner les ruines moyenâgeuses, les chapelles romanes et les cathédrales gothiques, des thèmes récurrents et bien connus grâce aux lithographies, notamment celles parues dans les Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France du baron Taylor138. Plus généralement encore, semble-t-il, c’est l’habitat vivant, ce sont les édifices religieux consacrés qui l’intéressent et particulièrement ceux de la religion catholique. Le dernier tableau qu’il réalise avant sa mort ne représente-t-il pas la cathédrale de Strasbourg ?
Les églises baroques du pourtour méditerranéen et des Alpes qu’il sillonne rencontrent toute son attention, elles représentent une part importante de son oeuvre. Le pays niçois ne déroge pas à cette règle ; les églises, chapelles et abbayes abondent - il est vrai - dans ce comté marqué par une foi toute ultramontaine. De plus, les monastères niçois hors les murs ont la particularité de se situer dans des sites remarquables pour les étrangers qui aiment s’y rendre en promenade, profiter du cadre agréable et jouir des panoramas qu’ils y découvrent. Certains se joignent aux offices ou aux festins qui rythment la vie locale.
Ce sont les Franciscains qui, depuis la moitié du XVIe siècle, s’occupent du monastère de Cimiez et de l’église de l’Annonciation attenante. Agrandie au fil des siècles, elle vient de recevoir en 1844 une nouvelle façade de style troubadour, ce néo-gothique romantique à la mode, celui que les rois de Piémont-Sardaigne choisissent pour rhabiller l’abbaye de Hautecombe où sont enterrés leurs aïeux.
La vue que dépeint Jacques Guiaud est courante ; la place n’offrant guère de recul il est bien difficile de proposer un angle renouvelé pour représenter l’ensemble claustral139. L’originalité tient dans la mise en place, dans le partage du motif vedette entre l’église et la rangée de magnifiques chênes verts séculaires. Les contrastes entre le végétal et le minéral, entre les lignes droites et tortueuses, entre les fruits de la nature et du génie humain sont ici mis en évidence. Sous l’élévation des ramures et des flèches, moines et laïcs se reposent ou devisent à l’ombre, profitant de l’harmonie et de la plénitude du lieu. Circonscrite par le mur de la propriété Garin de Cocconato à gauche et par l’enceinte du cimetière à droite (alignée sur la façade de l’église aujourd’hui), la place semble d’autant plus close que la voie d’accès est masquée par les grands chênes. Au-delà de ce havre de paix et d’ombrage, le ciel blanchit, les collines sont surexposées par la lumière dont les murs et la façade renvoient l’éclat, vif et aveuglant.
138 Voir supra, p. 13.
139 Fondé au IXe siècle par les Bénédictins de Saint- Pons, il est occupé depuis le XVIe par les Franciscains. L’église Notre-Dame du XVe et le cloître du XVIe sont remaniés au fil des siècles. Le choeur et la sacristie datent du XVIIe. Le monastère est classé le 4 juin 1993 et le 19 mai 1994 (jardin, cimetière).
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