Par Jean-Paul POTRON
Conservateur de la bibliothèque Victor de Cessole, Nice
Rédacteur en chef de la revue Nice Historique.
En cette moitié du XIXe siècle, nous voici à la limite entre la ville et la campagne, au pont Magnan. La promenade des Anglais n’y est pas encore tracée, à la place on découvre un simple sentier longeant les propriétés ceintes de hauts murs qui les protègent des coups de mer. La seule voie de communication littorale était alors la route de France, à l’intérieur des terres, que l’on voit sur la gauche de l’aquarelle. Elle partait du pont du Var, traversait les quartiers des Sagnes, de Carras, de Sainte-Hélène et du Barri Vieilh pour gagner le pont Magnan et, au-delà, rejoindre la place Masséna. Au niveau du vallon de La Madeleine, elle franchissait le torrent Magnan sur un pont de pierres monumental, bien représenté au premier plan. C’est l’ingénieur niçois Paul Gardon90, concepteur également du Pont-Neuf, qui en réalisa le projet et dirigea les travaux entre 1835 et 183791.
L’urbanisation ouest de Nice s’arrêtait ici avec les dernières constructions contigües au nord de la rue de France, les maisons Torrini et Maiffret92. Au-delà du torrent, s’étendait un habitat dispersé de fermes et bastides regroupé de loin en loin en hameaux autour des chapelles rurales. Les riches villas restaient encore exceptionnelles. C’est au pont Magnan que se trouvaient les bureaux de l’octroi ; les agents municipaux arrêtaient les chariots pour en contrôler les chargements et percevoir les taxes sur les marchandises entrant dans la commune.
Mais, en dehors de la figure centrale du pont, l’aspect architectural n’est pas mis en avant. La cité n’existe au loin que par les immeubles de la promenade des Anglais et du quai du Midi qui émergent à peine entre la mer et les montagnes. La proximité du cours d’eau favorisant la présence de végétation, le peintre préfère composer un premier plan avec trois massifs disposés en triangle : les agaves à gauche, les roselières à droite et le grand bouquet central de peupliers autour duquel s’organise l’image. Les jardins des maisons individuelles et la route arborée de La Madeleine à gauche indiquent que les quartiers allant du Magnan au Paillon sont alors largement occupés par des cultures et des parcs privés d’agrément. L’aquarelle d’Antoine Trachel, prise du même endroit à l’entrée ouest du pont, corrobore l’exactitude de la représentation du site faite par Jacques Guiaud.
Deux milieux coexistent : celui des hivernants, représenté par le couple bien mis sur la gauche, le monsieur désignant à son épouse assise le monde des autochtones, en l’occurrence ici deux lavandières, l’une occupée à laver le linge dans le cours d’eau du Magnan, l’autre à le rapporter dans la corbeille en châtaignier - la banastra - qu’elle porte sur la tête. Lorsqu’elles ne travaillaient pas aux champs, les femmes étaient employées comme lingères, laveuses, repasseuses, ravaudeuses, notamment l’hiver lorsque les étrangers venaient séjourner à Nice. Tous les cours d’eau et les bassins, depuis le port au Var, étaient alors utilisés afin de blanchir le linge. Le thème de la bugadière niçoise déjà très présent dans la littérature vernaculaire était devenu un motif pittoresque souvent illustré par la peinture, puis par la photographie. Les multiples représentations du Paillon et des cours d’eau s’expliquent en grande partie par la présence de bataillons de laveuses à la main leste et au verbe haut, un véritable spectacle avec ses vedettes. Rien de tel ici, dans les paysages niçois dépeint par Guiaud règne toujours l’harmonie, aussi bien dans les scènes représentées que dans l’équilibre des masses et la répartition des couleurs.
90 Jean-Baptiste Toselli, Biographie niçoise ancienne et moderne... Nice, Société typographique, vol. 1, 1860, p. 317-320.
91ADAM 01FS 0371, 01FS 0804
92ADAM 01FS 0810. Entre la rue de France et la mer s’étend la propriété Grimaldi de Castelnuovo sur laquelle sera construit dans les années 1860 le lotissement Fay
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